Par Pierre-Yves Stucki
On ne saura sans doute jamais si le Ministre de l’économie Emmanuel Macron était vraiment naïf au point de croire que sa petite phrase, en septembre dernier, sur le caractère injustifiable du statut des fonctionnaires resterait confidentielle, ou s’il s’agissait d’un ballon d’essai destiné à tester le sujet.
Les réactions qui ont suivi étaient tristement prévisibles : démenti, recadrage présidentiel. Puis la machine médiatique suivit son cours et passa à la polémique suivante sans que l’on ait pu approfondir la question. Il faut croire que le ballon d’essai était concluant car le même ministre a récemment récidivé au sujet de l’introduction du mérite dans le calcul du salaire !
Or la question du statut des fonctionnaires se pose, et vraiment : qu’est-ce qui légitime qu’il y ait des différences de statuts entre les travailleurs ? Ces différences sont réelles. Certains statuts sont très précaires, d’autres sont protégés. Dès que l’on pose la question, vient la réponse classique qui rappelle l’attachement au service public. Mais le service public ne se confond pas avec le statut de fonctionnaire. Beaucoup d’agents travaillent pour le service public, avec un sens profond de l’intérêt général, sans être fonctionnaires.
On peut être attaché au service du public, et même dénoncer la privatisation de ces services, et pourtant souhaiter que l’on dépasse cette opposition entre les statuts publics et privés. Dire cela n’est en rien « tirer vers le bas » la protection sociale des travailleurs. Au contraire. Le système de titularisation des fonctionnaires est évidemment appréciable individuellement pour celui qui en bénéfice. D’ailleurs si les fonctionnaires défendent leur statut, c’est bien qu’ils le jugent plus intéressant qu’un autre. Mais ce statut est très loin d’assurer une sécurité collective. Ce mécanisme génère même une profonde injustice entre les titularisés et ceux qui, avant de décrocher ce sésame, accumulent les CDD sans aucune certitude d’être finalement titularisés. L’État, qui impose de nombreuses contraintes aux entreprises privées, est d’ailleurs un bien mauvais employeur, n’hésitant pas multiplier les CDD successifs bien au-delà de la limite autorisée – notamment dans la fonction publique hospitalière. Autre effet pervers bien connu – en particulier dans les collectivités locales et la fonction hospitalière : on préfère n’embaucher que des contractuels, pour éviter les contraintes de la titularisation. Le système se retourne contre lui-même.
Le défi à relever, c’est de sortir de ce débat par le haut : non pas en réduisant la protection des salariés au plus petit dénominateur commun, mais en sortant des cadres rigides dont on voit qu’ils ne servent plus l’intérêt collectif des travailleurs. Or une proposition existe pour sortir de cette juxtaposition conflictuelle des statuts : c’est le « statut du travailleur », formulé il y a tout juste 20 ans par Jean Boissonnat dans son rapport « Le travail dans 20 ans » et repris par les Semaines sociales et la CFTC.
Puisque le gouvernement veut refonder le droit du travail, c’est le moment favorable pour reprendre cette proposition qui confère à chaque travailleur, au-delà de la nécessaire mobilité et des périodes de transition (recherche de travail, formation), un véritable statut avec maintien des droits acquis. Un statut qui tienne compte de la réalité actuelles des parcours professionnels, qui n’ont plus rien à voir avec la stabilité de ceux d’autres fois. Un statut qui permette la mobilité, sans perdre les droits acquis à chaque changement. Un statut qui intègre les différentes formes d’engagements, à l’heure où se développe de façon significative le travail hors salariat. Il y a là une proposition concrète qui permettrait d’assurer une protection sociale bien plus efficace que l’empilement actuel d’un droit du travail qui n’assure plus sa promesse de protéger les travailleurs.
Pierre-Yves Stucki, vice-président des Semaines sociales de France