Par Jérôme Vignon
Ce qui serre le cœur, face à la montée d’apparence inexorable du Front national, d’échéance en échéance électorale, n’est pas propre aux chrétiens. D’ailleurs, parmi les catholiques pratiquants, une part croissante se sent proche désormais de ce parti, comme le montre l’invitation récente à la Sainte Baume de la jeune députée frontiste, Marion Maréchal Le Pen.
Ce qui crée un grave malaise pour beaucoup de Français, qui aujourd’hui se réclament sans doute plus nettement des valeurs de la République, est de l’ordre d’une conscience nationale.
C’est la mémoire historique de toutes ces périodes dramatiques où le peuple français a succombé aux tentations de la violence, où la manipulation des frustrations et des ressentiments a finalement débouché sur la guerre civile. Sans remonter jusqu’aux guerres de religions (quoique ..) nous savons que chez nous le « vivre ensemble » est fragile. Ce n’est qu’avec le temps et la durée que la République a pu transformer en conflits politiques les affrontements fondés sur les haines de classe, la détestation des juifs et le mépris des « bougnoules ». Aussi critique que l’on puisse être de cette politique et des partis qui l’incarnent, il n’empêche qu’ils sont les dépositaires de cette mémoire que nous appelons conscience civique, conscience républicaine, conscience de former une nation.
Or comme le rappelait encore récemment Jean-Louis Schlegel dans a revue Esprit, comme le constatait encore courageusement La Voix du Nord dans ses éditions du 1 décembre, rien ne permet, au contraire, de penser que les dirigeants du Front national aient rompu avec cette tradition de détestation des autres. Ces « autres », qu’il s’agisse des étrangers, ces migrants illégaux assimilables à une « métastase » dans la société, ou ces ayants droits de l’aide médicale d’État qu’il convient de dénoncer afin « d’éradiquer toute immigration bactérienne ». Cette détestation ne s’applique d’ailleurs pas qu’aux migrants, elle vise plus généralement tous ces gens d’en haut contre lesquels il convient de faire « front ».
Au-delà des incohérences repérables dans le programme du Front national qui s’ajuste aux perspectives d’un pouvoir responsable, ce qui inquiète et mérite d’être fermement combattu sur le terrain politique, ce sont deux ressorts inhérents aux stratégies du Front national : l’appel au contournement des institutions réduites à la bande des quatre, et l’inclination à la dénonciation des boucs émissaires à défaut de toute analyse des causes de nos difficultés. Ce sont ces menaces graves pour l’avenir de notre pays, au moment où il aurait plus que jamais besoin de rassembler ses forces, qui amènent le christianisme social et les Semaines sociales de France à travailler sur les causes de l’injustice et à prendre clairement position contre le Front national. Et ce n’est pas pour, au premier chef, une incompatibilité intrinsèque avec la foi religieuse. Qui sommes-nous pour juger de l’authenticité de la foi de la tête de liste FN en région PACA ?
Ces dangers et ces menaces palpables s’inscrivent dans le champ du politique. Elles sont un signe supplémentaire de ce que l’action politique elle-même devra, dans notre pays, être à la fois réhabilitée et rénovée, ainsi que le soulignait une rencontre récente suscitée à Paris par la Conférence des Évêques de France. Ici peut se manifester une façon d’être chrétienne, une manière de réagir « en chrétien » selon la distinction toujours utile de Jacques Maritain.
Plutôt que d’incriminer sans cesse, et à tort, la médiocrité générale de la classe politique, nous devrions rester fidèle à l’esprit de ces chrétiens – respectueux des lois mais les habitant autrement – que décrit la fameuse épître à Diognète. Cela signifie de nous interroger nous-mêmes sur la part de responsabilité que nous pouvons avoir dans le fait que tant de Français ne se sentent pas reconnus ni représentés dans le débat politique tel qu’il se présente aujourd’hui. C’est se situer comme partie prenante d’un ensemble éducatif où effectivement l’ascension est bloquée particulièrement pour ces jeunes issus de l’immigration et cesser d’en rejeter la faute sur la seule « Éducation nationale ». C’est admettre que les entrepreneurs, les partenaires sociaux en général, les lieux où se forment nos responsables économiques pourraient être plus incisifs pour proposer un marché du travail inclusif et cesser d’invoquer seulement la médiocrité du code du travail. C’est devenir aussi plus exigeants, plus proactifs dans l’énoncé d’un projet politique pour l’Europe en admettant que les déceptions qu’elle a produites sont de notre fait, pas seulement de celui des technocrates bruxellois. C’est en définitive s’engager en politique pour qu’elle ne se consacre pas seulement à dénoncer le mal, mais à concevoir et viser le bien.
Jérôme Vignon, Président des Semaines sociales de France, le 3 décembre 2015
La situation présente me fait me remémorer le vote sur la constitution européenne. Les tenants de l’approbation étaient nombreux (Eglises, syndicats, monde économique et autres associations ou faiseurs d’opinion) et cependant la majorité des électeurs avait voté négativement. La réponse a été le contournement par les élus nationaux réunis e congrès pour faire passer le texte. Le hiatus était manifeste et tenait pour beaucoup à l’incapacité voir l’impossibilité d’expliquer et de faire comprendre combien les « élites » avaient raison.
1- Pendant que les partis traditionnels s’écharpent sur la politique économique de l’offre ou de la demande, le FN propose une formule simple de retour à l’autarcie.
2- Malgré l’appel à des spécialistes pour créer un nouvel indicateur « du bien être » les propositions économiques se basent sur le sacro-saint taux de croissance du PIB source de nombres décisions politiques.
On pourrait multiplier les exemples montrant que la simplification des solutions proposées par le FN est facilement compréhensible par tout un chacun alors que la complexité des échanges internationaux reste plus difficilement explicables.
Dans ses différentes interventions le pape François (en cohérence avec les déclarations de ses prédécesseurs) ne cesse de dénoncer le système économique dominant et plaide pour un changement radical.
Le fait de la mondialisation des échanges est irréfutable, il ne s’agit d’être pour ou contre la mondialisation mais bien d’agir concrètement sur les règles qui régissent ces échanges.
La question est de savoir où et quand le citoyen lambda peut et doit donner son avis pour faire changer les choses.
Une approche similaire pourrait être faite par rapport à l’immigration, la peur de l’autre, dernièrement j’entendais sur les ondes ce propos d’un vieux travailleur immigré de longue date dans notre pays qui a eu cette formule récusant le terme d’immigré en disant qu’il avait été un coopérant dans la construction et l’entretien du métro parisien. Il montrait par là le changement de regard et de perspective nécessaire pour l’accueil de ces populations dans notre communauté nationale.
Il me semble que le commentaire d’Etienne Bloquaux nous fait réfléchir sur deux directions concernant la communication politique avec les citoyens . D’abord la question de la pédagogie. La complexité des sujets ne doit pas faire obstacle à l’effort d’explication des enjeux , des options et des contraintes, en particulier quand il s’agit d’Europe . Cela suppose , pour les responsables , d’admettre qu’ils ne peuvent pas tout et que néanmoins des issues et des initiatives sont possibles , si l’on négocie et si l’on coopère , tenant compte de ce que sont les autres membres de l’UE. Mais cela concerne aussi l’absence de prise en compte , dans le texte du Traité d’UE , révisé après le Non français , de thèmes ou de propositions qui auraient signifié une prise en compte d’une partie des motivations du Non. J Vignon
Merci à Jérôme Vignon pour sa position ferme et courageuse, ainsi que son analyse des positions de fond du FN.
Nous apprécions également la position courageuse du quotidien « La Voix du Nord ». Cela change avec une autre grande revue hebdomadaire chrétienne « La Vie » ,dont le directeur de la rédaction Jean-Pierre Denis a consacré pas moins de 8 pages et une photo pleine page de Marion Maréchal-Le Pen, cela sans aucun état d’âme…
Mais heureusement, il y a encore des chrétiens catholiques pour qui les valeurs de l’Evangile sont prioritaires et refusent l’idéologie sectaire du FN.
S’agissant du journal La Vie, il me semble que l’on doit lui donner acte de sa ligne éditoriale d’une manière générale , laquelle en particulier n’a cessé de faire écho aux propos du Pape François en matière de migrants et de réfugiés et qui met régulièrement en lumière des attitudes ou des initiatives d’accueil et de solidarité , telles que celles qui se sont manifestées en France depuis septembre dernier . On peut aussi lire les 5 pages que vous citez comme une présentation factuelle de la situation donnant à voir l’attrait indéniable qu’exerce sur des jeunes catholiques Marion Marechal Le Pen et invitant les lecteurs à la lucidité.
En ce qui me concerne , j’ai voulu insister sur le fait qu’ une appréciation de la progression du FN dans notre pays devait d’abord faire appel à un jugement politique et non religieux . Dans cette perspective le débat avec des électeurs , si possible avec des responsables du Front national , sera de plus en plus nécessaire, mais d’abord sur une base politique : comment entendent ils conjurer les conséquences des divisions et des replis que recèlent leur langage et leur propositions ?
Merci pour cet article fort intéressant, mais qui me laisse pantois. M. Vignon, quelles sont les propositions du FN qui prône ces exclusions dont vous parlez? Mais plus profondément, comment pouvez-vous prétendre, qu’en tant que chrétien, ayant en plus des responsabilités importantes, vous jugez incompatible le FN? Est-ce bien votre rôle? Même la conférence épiscopale française ne l’a pas fait… depuis le début des années 80! Le porte-paroles ayant rencontré beaucoup de contradictions lorsqu’il a rappelé cette position il y a quelques mois.
Il est étonnant de voir combien ce FN qui, me semble-t-il, défend des valeurs communes avec l’Eglise (cf. les déclarations de Mme Maréchal Le Pen sur l’avortement et le planning familial : qui oserait aujourd’hui?), fasse l’objet d’une telle fronde contre lui, de la part de chrétiens. Comment se fait-il que vous ne soyez pas plus humble dans vos jugements? Et puis, une dernière question: je ne crois pas (pour vous avoir souvent lu et écouté) que vous soyez quelqu’un qui a une attache une trop grande importance aux choses matérielles, en cela vous avez intériorisé la morale chrétienne. Mais ne voyez-vous pas que beaucoup de gouvernants précédents ont largement menti et volé les français? Qu’ils ont parqué des milliers d’immigrés dans des cités qui n’en peuvent plus? Aussi, pourquoi les gouvernants du FN feraient-ils pire? Pourquoi voudriez-vous les réduire à certaines postures idéologiques? Avez-vous condamné de la même manière tous les hommes politiques et familles politiques qui se sont corrompues avec le communisme par exemple?
Vous voyez, je trouve très délicate la position que vous prenez et même un peu cavalière. Or, je ne veux pas croire que vous ayez des intérêts dans le PS ou LR… Donc, je ne comprends pas votre position, ou plutôt son ton péremptoire.
Respectueusement,
JFM
Pour JF Martin:la simple expression « immigration bactérienne » (citation de Marine Le Pen) qu’il faudrait « éradiquer », symbolise hélas les « exclusions » que vous croyez ne pas trouver au FN.
L’immigré »bactérie » n’est en aucun cas une expression évangélique, pas plus que « l’éradication »de qui que ce soit.
Merci à JV pour sa tribune , peut-être trop tardive? Merci de nous renvoyer à nos responsabilités personnelles et individuelles.
La CEF a pris des positions très fermes sur l’accueil des étrangers, exilés, immigrés et autres apatrides et ce dans la ligne constante de la papauté. Il ne me semble pas que ce point soit dans la ligne politique du FN.
La juxtaposition que vous faites entre planning familial et avortement relève de cette habitude prônée par certains débatteurs pour rendre confus tout échange et légitime disputation. De plus, et quoique je pense pour ma gouverne personnelle, la loi autorisant l’avortement a été approuvé par divers parlementaires chrétiens au nom d’une part d’un moindre mal (mettre fin aux avortements clandestins qui ont existé de tout temps et en tout lieu)et d’autre part de la nécessaire séparation des pouvoirs entre les églises et la république.
Il faut fuir toute tentative d’imposer la charia ici ou là et donc tout régime qui se voudrait théocratique.
Je remercie Jean François Martin pour l’attention qu’il a donnée à cette tribune. Oui selon moi, le programme du Front national est bien propre à entretenir des exclusions. Cela tient par exemple au « principe de préférence nationale » que devrait suivre Pôle emploi en vue d’orienter à compétence égale, les offres disponibles aux personnes de nationalité française : de telles pratiques exposent nos compatriotes , en Europe notamment à des comportements similaires, instillant chez nous et dans des pays devenus proches un esprit d’exclusivisme et d’exclusion là où il n’a pas lieu d’être . Nous sommes enrichis de compétences que nous n’avons pas et réciproquement. Je ne crois pas que nous nous grandirons en nous repliant.Cela ne nous empêche pas d’être fier de notre pays. Mais comment rester attractifs et influents si, comme le propose le Front national, nous reprenons la maîtrise de nos frontières (rétablissement de tous les contrôles)et de notre monna