Tous les 15 jours, retrouvez Pierre-Yves Stucki et sa chronique sur la pensée sociale et l’actualité, au micro de Paul Keil sur Radio Jérico.
A partir de la chronique du 11 avril 2017.
« Et maintenant, pour qui voter ? » C’est une question que se posent sans doute beaucoup d’électeurs français à quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle. Malgré le nombre élevé de candidats, la question reste entière pour beaucoup.
Le casse-tête n’est pas moins difficile pour les chrétiens qui se réfèrent à la doctrine sociale. Il y a longtemps qu’ils ont renoncé à chercher « le » candidat qui serait en accord parfait avec ladite doctrine. Pourtant, l’invitation du Magistère de l’Église à prendre part à l’élection est sans ambiguïté : « La soumission à l’autorité et la coresponsabilité du bien commun exigent moralement le paiement des impôts, l’exercice du droit de vote, la défense du pays ». (CEC 2240)
Mais alors, comment fait-on ?
À défaut de candidat parfait, la première réaction est de chercher le meilleur, ou le moins mauvais, en tout cas celui qui serait le moins éloigné des exigences évangéliques. Cela paraît simple, mais en pratique, ça ne l’est pas du tout. Déterminer qui est le plus proche « dans l’absolu » supposerait qu’on définisse un système de mesure permettant de classer tous les candidats selon une règle uniforme. En mathématique, cela s’appelle une relation d’ordre. Mais nous ne sommes pas dans un système formel et abstrait.
Alors, à défaut d’un classement systématique, on peut tenter de procéder par élimination, en cherchant des critères permettant de rejeter certains candidats. C’est l’idée des fameux « points non négociables », pour reprendre la formule d’une importante note doctrinale signée en 2002 par celui qui était encore le Cardinal Raztinger, futur Benoît XVI. Mais là encore, ce n’est pas si simple.
D’abord parce qu’on se trouve vite devant la tentation de ne retenir que ce que l’on a envie. Nous en avions parlé dans une précédente chronique. La note doctrinale le dit ainsi : « Parce que la foi est un tout indivisible, il n’est pas logique d’isoler un de ses éléments au détriment de la totalité de la doctrine catholique. » Or la liste des « exigences éthiques fondamentales auxquelles on ne peut renoncer » est longue. Respect de la vie, défense de la famille, liberté d’éducation mais aussi, et tout autant, protection sociale des mineurs, lutte contre les formes modernes d’esclavage, liberté religieuse, économie au service de la personne et du bien commun, recherche de la paix.
Ensuite parce qu’une telle liste, comme d’autres documents publiés par l’épiscopat ou des mouvements de laïcs, aide beaucoup à l’analyse et à la réflexion, mais ne simplifie pas la tâche au moment du choix décisif dans l’isoloir. En procédant par élimination sur la base d’un programme aussi complet, on risque bien à la fin de n’avoir plus aucun candidat qui reste en lice.
Alors dans ce cas, que fait-on ?
Eh bien, c’est simple : on ne fait rien ! répondent certains. Ou plus exactement : on ne choisit pas. On note vote pas, ou alors on vote blanc. Et comme l’abstention n’est clairement pas conforme à « l’exigence morale » de prendre part au vote, il ne resterait donc que le vote blanc.
Mais c’est là qu’intervient un texte publié il y a quelques jours par l’évêque du Havre, Mgr Brunin. Il aborde la question du vote blanc, et je crois que c’est assez nouveau dans ce type de texte. « Voter est donc un acte qui, pour le chrétien comme pour tout citoyen, réclame un nécessaire discernement. Voter, c’est choisir », nous dit-il. « Voter blanc peut être un aveu d’absence de discernement ou d’une attitude puriste et intransigeante. »
Ce texte ne manquera pas de faire réagir. Beaucoup considèrent, à juste titre, que prendre soin de se déplacer pour exprimer qu’en dernier ressort, aucune proposition ne recueille son adhésion, n’est en aucun cas de même nature que s’abstenir et peut même être justement le fruit de leur discernement.
On peut déplorer que le vote blanc ne soit pas encore pleinement reconnu. Depuis 2014 les bulletins blancs sont comptés à part des autres votes nuls, mais ils entrent toujours dans les « suffrages non exprimés ». Des voix se font entendre pour réclamer une vraie prise en compte du vote blanc, allant jusqu’au bout de la logique, en déclarant nulle une élection où le vote blanc serait arrivé dans les 2 premiers. En attendant, nous ne pouvons faire fi du système actuel : aujourd’hui, concrètement, voter blanc, c’est ne pas prendre part au scrutin et laisser aux autres le soin de choisir.
Alors, que fait-on ?
Sans doute faut-il commencer par se rappeler qu’il ne nous est pas demandé de choisir un candidat parfait. Dans un autre texte publié en vue des élections, l’évêque de Toulon, Mgr Rey, le dit clairement : « Inutile de se lamenter sur l’absence du candidat idéal ou de l’homme providentiel ! ». Il ne s’agit pas, nous rappelle-t-il, de désigner le plus vertueux mais « de voir celui qui est le plus capable de servir le bien commun et de diriger une communauté pour que chacun puisse y vivre en paix. »
Ensuite, la doctrine sociale reconnaît qu’il est possible « d’interpréter de manière différente certains principes fondamentaux ». Comme l’explique le Compendium, « le chrétien ne peut pas trouver un parti qui corresponde pleinement aux exigences éthiques qui naissent de la foi et de l’appartenance à l’Église : son adhésion à une formation politique ne sera jamais idéologique, mais toujours critique, afin que le parti et son projet politique soient encouragés à créer les conditions propices à la réalisation du véritable bien commun, y compris la fin spirituelle de l’homme. » (§573)
Là se trouve sans doute la clef qui nous permet de dénouer le problème, mais elle est exigeante. Si, à court terme, nous devons exercer notre responsabilité de voter, non pas dans le monde idéal que nous aimerions, mais dans le monde réel, et donc choisir parmi les candidats, glisser un bulletin dans l’urne ne suffit à nous acquitter de notre devoir de citoyen. Nous ne pouvons faire l’économie d’un engagement personnel – a fortiori lorsque l’offre politique ne nous convient pas. On parle ici d’engagement au sens large de l’action publique : pas uniquement dans un parti ou pour un mandat électif, mais aussi dans la vie associative ou militante – qui sont autant de moyen d’agir sur le cours de choses et de contribuer à faire émerger une autre offre politique, d’articuler démocratie représentative et démocratie participative. Être citoyen, ce n’est pas se contenter d’attendre les élections pour faire la fine bouche devant le menu. Comme le dit Mgr Rey, « on pourra toujours nous reprocher de n’être pas des saints ; on ne doit pas pouvoir nous reprocher notre indifférence et notre passivité. »
Pierre-Yves Stucki, membre du Conseil des Semaines sociales de France
Remarques très pertinentes !!
Voici une analyse bien pertinente dans les jours que nous vivons. Faute de mieux on peut aussi se résoudre à envoyer un courrier aux candidats. En retour on reçoit au mieux un texte standard, mais il arrive que les « idées » soient reprises ici ou là. Alors pourquoi pas?
Un grand merci pour cet article. Cela fait du bien de lire une réflexion comme celle-ci qui donne de la hauteur et nous « désembourbe » des débats actuels trop peu éclairants. En effet, l’enjeu n’est pas seulement de voter mais aussi et surtout de s’engager, après l’élection, pour défendre les valeurs/orientations qui ne seront pas prises en compte par le candidat élu que ce soit l’un ou l’autre.
Je me permets aussi de renvoyer au livre du père Grosjean : « Catholiques, engageons-nous! »
Encore merci.