Protection universelle maladie : l’État providence détrône le travail et les syndicats

Par Mathieu Monconduit

Cette année dans le projet de Loi de financement de la Sécurité Sociale , en sus des chiffres de la protection sociale et des comptes de la santé, se glisse un changement structurel majeur.

La mesure nouvelle, la protection universelle maladie, crée un droit à la prise en charge des frais de santé pour tous les assurés qui travaillent ou résident en France de manière stable et régulière. Présentée comme une mesure simplificatrice de la couverture maladie universelle (CMU), elle devrait permettre de supprimer un million de vérifications anuelles. Mais en instituant ce droit du sol, elle vient estomper les conditions d’accès aux droits sociaux mises en place depuis 70 ans, en particulier, l’accès par le travail.

La fonction du travail, génératrice de droits sociaux, justifiait la place réservée aux organisations syndicales comme co gestionnaires de la Sécurité Sociale ( SS). Certes, depuis 1945, pour des raisons financières, l’Etat s’était progressivement introduit dans le tour de table. Aujourd’hui, il apporte une part significative des recettes de la SS (près de 30%), assure directement certaines charges de l’Assurance Maladie (AM) et solvabilise les déficits de la SS, notamment ceux de sa branche maladie, grâce à la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS). En contrepartie l’État a imposé diverses mesures visant à maîtriser la progression des charges de l’AM, parmi lesquelles l’adoption chaque année par le Parlement de la Loi de Finance de la Sécurité Sociale.

Ainsi, la mise en place de la protection universelle maladie s’inscrit d’abord dans la longue marche pour le renforcement de l’autorité de l’État dans la gestion de la branche Maladie de la SS. Mais par le droit du sol qu’il introduit ici, il fragilise la perception individuelle du lien entre travail et accès à des droits sociaux, et dé-légitimise les partenaires sociaux.

Cette évolution peut elle contribuer à l’efficacité du système d’Assurance Maladie, à l’accès aux soins de tous et à l’équité des coûts restant à la charge des personnes malades ? La dualité de pilotage, État et Assurance Maladie, entretient de multiples doublons onéreux, voire des incohérences (tels le remboursement de soins effectués à l’étranger parce qu’interdits en France). L’Etat, en créant les agences régionales de santé (ARS), a certes restreint les pouvoirs des caisses d’AM et s’est donné les moyens de rééquilibrer l’offre de soins entre les territoires et d’améliorer ainsi l’accès aux soins. Cette création a aussi permis d’amorcer un décloisonnement entre secteurs sanitaire et social, rendu indispensable par l’intrication des deux composantes chez les plus démunis. Mais il est cependant peu probable que le sentiment de responsabilité dans l’utilisation du système de santé soit renforcé par ce droit du sol pour le remboursement des soins, qui fait se détacher l’AM de la Sécurité Sociale et de son principe fondateur :« contribution de chacun selon ses moyens ».

Par Mathieu Monconduit, membre du CA des SSF

1 Commentaire

  1. Bry Hervé

    Merci pour ce post très intelligent.
    Il faut noter que la CFTC, dès 1945 et au nom du principe fondamental de subsidiarité, s’était opposée à la nationalisation du système de sécurité sociale, comme le rappelle Jacques Tessier dans son livre « Syndicalisme Chrétien ».
    L’Etat providence est une falsification de la charité, qui est elle-même un mouvement libre et généreux du Saint Esprit en nous. Parler d’Etat-Providence est significatif : cette expression retire à la Providence son origine spirituelle, surnaturelle, pour en faire un dispositif juste humain étatique, et finalement exclusivement matérialiste.
    La CFTC continue dans cette ligne depuis : son projet de « statut du travailleur », fondé sur une perception théologale de la dignité humaine, reprend les enseignements de Jean-Paul II (sur la dignité de tout travail, au delà même du salariat) et de ses successeurs. C’est ainsi que la CFTC prend le risque d’accueillir favorablement (mais avec prudence) les réformes actuelles qui visent à rendre au paritarisme leur part de responsabilité en allégeant les lois contraignantes. C’est certes risqué, dans un monde ou le pouvoir de l’agent est totalitaire, mais il faut parier aussi sur la conscience des acteurs et pas seulement sur leur animalité prédatrice. Nous sommes des hommes et des femmes, enfin ! C’est toute notre dignité.

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