Par Jean-Pierre Rosa
Sur le fronton de l’église Saint-Eustache, à Paris, comme sur celui de la Madeleine, un immense panneau publicitaire s’affiche désormais. Changé régulièrement, il permet de recueillir des fonds pour réaliser les indispensables travaux. Les passants, intrigués, se demandent pourquoi l’Église fait de la pub pour les produits les plus étranges. (La photo ne montre pas la pub…)
Sur la bâche grise, en petits caractères, cependant, on peut lire : « En application de l’article L-621-29-8 du code du patrimoine, les recettes perçues par le propriétaire du monument pour cet affichage sont affectées au financement des travaux ».
En s’approchant encore, sur le panneau de mise en travaux, parmi diverses mentions légales de coût, (2,4 millions d’€ dont 1/3 payés par la publicité), maîtrise d’ouvrage etc, figure cette mention laconique en petits caractères : « propriétaire : Mairie de Paris ».
En effet, au moment où fut votée la loi de séparation des Églises et de l’État, en 1905, faute d’accord trouvé avec le Saint-Siège, les églises existantes tombèrent dans le domaine public. Au grand dam de l’État, qui n’en demandait pas tant. Il fallut attendre 1923-1924 pour qu’un modus vivendi soit signé avec le Vatican permettant d’affecter légalement les églises érigées avant 1905 au culte catholique. A charge pour l’État désormais propriétaire, de les entretenir ! Qui connaît ce pan d’histoire ? Qui sait que cette loi dite d’apaisement fut en fait ressentie comme une spoliation ? On s’en félicite aujourd’hui de toutes part mais on oublie le contexte. Il fallut plus de 100 ans pour que l’Église se rallie à la République. Et plus de 20 ans encore après la loi de 1905 pour qu’elle interdise l’action française qui militait ouvertement et violemment pour la royauté.
Aujourd’hui, ne pourrait-on pas appliquer à l’islam une méthode semblable ? Une laïcité d’ouverture sur la conviction et le culte mais intransigeante sur les principes républicains. Car l’islam, incontestablement, pose un problème, sinon à la France tout au moins à un très grand nombre de Français et ce pour des raisons diverses, par forcément bonnes d’ailleurs. Sa visibilité féminine (le voile), ses rites ostensibles (le ramadan), ses interdits ombrageux (l’alcool, le porc), sa tendance à mélanger code civil et religieux (la charia) sont des défis à l’équilibre qui avait été trouvé entre les cultes « classiques » (juifs, catholiques, protestants) et ce nouveau venu sur le sol de la République. Surtout l’influence grandissante d’un courant identitaire communautariste importé (le wahhabisme) – qui n’a aucun rapport avec son importance numérique – inquiète.
La laïcité est une suite de prises de positions pragmatiques pour défendre la liberté de croire ou de ne pas croire, de pratiquer son culte, mais sans intrusion dans la vie politique et sans contradictions avec les principes républicains.
Peu de gens savent que les églises d’avant 1905 (toutes les églises, non seulement les chefs d’œuvre mais aussi les édifices médiocres du 19° siècles qui ornent nos campagnes) sont entretenus sur fonds publics. Tout cela parce que la loi de 1905 oblige la République à garantir le liberté du culte. Pourquoi donc faudrait-il continuer d’interdire la construction de mosquées sur fonds publics ? Il y a d’ailleurs un précédent fameux : la grande mosquée de Paris, fut construire en 1920 sur fonds publics pour remercier les citoyens français musulmans des départements d’Algérie de leur participation à la guerre de 14. La loi de 1905 avait été suspendue à l’occasion, juste le temps de signer le décret. Ce qui a été fait, ne peut-on le refaire ?
On pourrait en échange de cette « discrimination positive » en faveur des musulmans et d’eux seuls, demander diverses choses à l’islam de France : Primo qu’il se constitue en islam de France et rompe avec ses pays d’origine. Non pas culturellement mais financièrement. Ne peut-on interdire de façon très sévère tout financement étranger de l’islam de France ? Quelques barils de pétrole valent bien la paix sociale et religieuse. On renouerait alors avec la vieille pratique napoléonienne des cultes reconnus ? Mais pourquoi pas ? Secundo il serait possible de conditionner toute aide à un « ralliement » de l’islam de France aux valeurs de la République. A commencer par l’égalité homme femme dont le port du voile – quoi qu’on puisse en penser – est, pour beaucoup, un marqueur. Il ne s’agirait en aucun cas de l’interdire. Cette manière autoritaire de procéder est inefficace, contre productive et attentatoire à la liberté. Mais d’aider et d’inciter. La laïcité, comme Janus, a deux visages. Le premier est ouvert, favorable, au besoin aidant. Le second est sévère : il marque la séparation et fait passer la citoyenneté avant l’appartenance confessionnelle. C’est par ce chemin de crête que peut se constituer, pensons-nous, un islam de France.
Jean-Pierre Rosa, membre des Semaines sociales de France