La croissance

Par Paul Champsaur

L’histoire économique de l’après-guerre décrit l’affaiblissement progressif mais continu de la croissance. Pendant les 30 années qui ont suivi la libéralisation, la croissance en France et en Europe occidentale fut proche de 5% l’an. Pendant les 30 années après le premier choc pétrolier, elle ne fut plus que d’environ 2% l’an. Ce fut général en Europe occidentale avec une croissance du chômage dans l’Europe du Sud, dont le taux s’établit environ 4% au-dessus de celui de l’Europe du Nord. Depuis la grave crise de 2008, la croissance est plus faible encore : à peu près 0,4% l’an en France et dans la  zone euro sur les 9 ans de 2008 à 2016.

Les 30 glorieuses furent une période exceptionnelle pour l’Europe qui reconstruisit son capital économique détruit pendant la 2ème guerre mondiale. La période qui suivit fut un retour à une situation normale. Le gain de productivité annuel du travail était de l’ordre de 1,5% en France, en Europe, aux États-Unis. Cela donnait pour la France une croissance à taux de chômage constant, ou croissance potentielle, de 2% l’an. La crise de 2008 a marqué une rupture. Le gain de productivité du travail est devenu très faible : moins de 0,4% l’an de  2008 à 2016 en France et en Europe, environ 0,9% l’an aux États-Unis. Les économistes ont pour habitude d’extrapoler les tendances constatées de la productivité pour prévoir la croissance potentielle des prochaines années. Cela donne en France une croissance potentielle proche de 1% l’an et aux États-Unis de 1,9 % à 2%. Une croissance française un peu supérieure à 1% l’an suffirait pour faire baisser le chômage, ce qui semble être le cas en ce moment.

Pendant un siècle et demi, la France et le monde occidental ont connu une croissance annuelle moyenne de la productivité du travail de l’ordre de 1,5%. Ceci permet des progrès substantiels dans beaucoup de domaines sur une génération. Ainsi le pouvoir d’achat  par tête double tous les quarante ans. Si le rythme des gains de productivité constaté depuis 2008 devait perdurer, tout serait beaucoup plus lent et difficile. Sur quarante ans le gain de pouvoir d’achat, au lieu d’un doublement ne serait plus que de l’ordre de 15%. Autre exemple, le seuil de pauvreté, le niveau de revenu au- dessous duquel on est considéré comme pauvre, n’a guère augmenté depuis 2008. Certes, les revenus plus élevés n’ont pas non plus significativement augmenté, ce qui entraîne une stabilité de la distribution des revenus (en France et en Europe, mais pas aux États-Unis où les revenus élevés ont nettement plus augmenté que les bas). Cependant on peut se demander si ceux qui ont de faibles revenus ne donnent pas plus d’importance à l’évolution de leurs propres revenus plutôt qu’à la variation de la distribution des revenus.

Ceci dit, les gains de productivité sont un peu fonction de la croissance. Si celle-ci est plus forte, ceux-ci sont un peu plus élevés. D’autre part la période 2008-2016 se distingue par un investissement des entreprises particulièrement bas. Il n’est donc pas déraisonnable d’espérer un redressement de quelques dixièmes de point du gain de productivité et de la croissance. Celle-ci pourrait voisiner 1,5% l’an. Il semble que ce soit déjà le cas pour la zone euro. Certes, les ajustements en cours devraient encore être poursuivis pendant un certain temps, mais la situation apparait beaucoup mieux gérable à moyen terme. Par contre un redressement nettement plus marqué, supérieur à 2% comme l’envisageait par exemple le Front National, parait très improbable.

Il est clair qu’un rythme de gain de productivité de l’ordre de 1% l’an contredit les prophéties sur l’effet à venir des robots. A supposer qu’un effet fort apparaisse un jour, ce n’est pas pour les prochaines années. Il semble que la robotisation en cours affecte les emplois de qualification intermédiaire aux États-Unis. Ce n’est pas le cas pour l’instant en Europe.

 

Paul Champsaur, ancien directeur général de l’INSEE et ancien président de l’Autorité de statistique publique

 

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