Nouveaux médicaments : entre contraintes éthiques et préjugés

Par Catherine Belzung

Dans le domaine de la recherche médicale, les essais cliniques dits de Phase 2 et Phase 3 sont incontournables avant la mise sur le marché d’un nouveau médicament. Ils permettent de s’assurer de l’efficacité d’un traitement avant que ce dernier ne soit proposé à plus grande échelle aux patients. Ces essais sont réalisés après des années de recherche, ayant permis successivement de tester l’efficacité des molécules chez l’animal, puis de s’assurer de l’innocuité des traitements sur des volontaires sains (essais cliniques de Phase 1).

Depuis quelques années, une règle éthique s’applique dans les pays de l’Union européenne : l’efficacité des nouveaux médicaments n’est pas comparée à celle d’un placebo, mais à celle d’un produit de référence déjà utilisé sur le marché. La logique qui sous tend cette réglementation est évidente : si certains patients recevaient un placebo alors que d’autres recevraient le produit à tester, on courrait le risque que les patients recevant le placebo ne soient pas traités, ce qui n’est pas du tout éthique, surtout dans le cas de maladies évolutives comme la sclérose en plaque ou le cancer par exemple.

Ce soir, au cours d’une réunion, j’ai un choc en apprenant que cette règle est très loin d’être universelle, et en particulier qu’elle n’est pas appliquée dans certains pays européens comme l’Ukraine, la Moldavie, la Bulgarie, la Russie, etc. Dans ces pays là, les groupes placebos sont autorisés, ce qui signifie qu’un patient a une probabilité de 50% de ne pas être traité quand il rentre dans un essai clinique. Sa pathologie va donc continuer à s’aggraver.

Ce type de possibilité intéresse beaucoup les multinationales pharmaceutiques, car il est plus facile de montrer qu’un produit est efficace quand il est comparé à un placebo que de montrer que son efficacité est supérieure à celle d’un traitement de référence.

Indignation totale quand j’apprends ça, puisque selon moi ces pratiques aboutissent à privilégier l’intérêt financier des grands groupes plutôt que l’intérêt des malades. Mais pour me rendre compte rapidement que ma colère est, d’un certain point de vue, infondée. Explication ? Dans les pays où ces pratiques existent, le recours à des essais cliniques est souvent la seule possibilité pour les patients d’avoir accès à un traitement. En effet, le système de santé de ces pays étant médiocre, l’alternative pour ces patients est entre « avoir une probabilité de 50 % de recevoir un placebo » et n’avoir aucun traitement à coup sûr. Voilà qui met plutôt mal à l’aise, car on se dit que cela touche spécifiquement les personnes de l’ex bloc de l’Est. Mais les choses sont plus compliquées. En effet, cela se pratique aussi… aux Etats Unis (où le système de santé est mauvais)!! De quoi ébranler tous mes préjugés !

Quelle leçon tirer de tout cela ? Sans doute que dans le domaine de la recherche médicale, les choses sont loin d’être simples : on aimerait tant avoir les bons d’un côté, et les méchants de l’autre ! Parfois il faut peut être aussi choisir le moins pire plutôt que de ne rien faire. Choisir les solutions pragmatiques plutôt que les solutions guidées par les émotions immédiates. Et l’autre leçon est que dans ce domaine, éthique rime avec qualité du système de santé : aussi longtemps qu’il n’est pas possible de garantir à chacun une bonne qualité de soins, les grands principes resteront lettre morte…

Catherine Belzung, membre du Conseil des Semaines Sociales de France

Photo : source Flickr.com

 

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