Notre responsabilité

Par Dominique Quinio

Voter est affaire sérieuse, un acte qui engage, une voix qui porte au loin, même perdue au milieu d’un océan d’autres voix. La colère, la peur, la déception ne devraient pas orienter le choix des électeurs, ni même d’ailleurs les « consignes » de vote. Personne ne peut se dire propriétaire des voix. Mais tous ceux qui ont une responsabilité politique, associative, culturelle, sociétale – au nom de leur histoire, les Semaines sociales se sentent ce devoir – peuvent clairement exprimer leur opinion pour aider au libre discernement de chacun.

Le second tour d’une élection présidentielle oblige souvent à des choix « par défaut ». Seuls 24% des électeurs voteront Emmanuel Macron avec enthousiasme ; quelque 22% Marine Le Pen. Les autres devront trancher entre deux programmes, entre deux personnalités, réelles ou fantasmées,  dont ils ne partagent pas toutes les idées. Beaucoup le feront au nom du « moindre mal », une notion morale qui n’est guère mobilisatrice ; d’autres au nom du « mieux possible ». Parmi eux, les électeurs catholiques, pour qui l’Évangile est un élément de discernement, seront intérieurement déchirés et divisés entre eux. Ils ne seront pas les seuls, car ils ne sont pas les seuls à avoir une conscience, à s’inquiéter du bien de leurs concitoyens, à devoir faire des concessions et des compromis avec leurs convictions.

Les critères de choix ne se tranchent pas si facilement. Prenons le cas de la famille et du respect de la vie, que des chrétiens présentent comme un point primordial  et « non négociable ». Le jésuite Bruno Saintôt, analysant cette question des points non négociables que le pape Benoît XVI avait évoqués devant des parlementaires européens, rappelait que les choses ne se distinguent pas si aisément. Ainsi, suffit-il de proclamer son hostilité  à l’euthanasie, ou faut-il organiser un système de santé où l’on puisse vivre sa vie jusqu’au bout dans la dignité, où personnel soignant et proches peuvent disposer de temps pour accompagner la personne en fin de vie, où l’on dispose d’un accès régionalement mieux réparti aux soins palliatifs ?  L’opposition à l’avortement, par exemple, ne dispense pas de s’attaquer au chômage des jeunes, de faciliter leur accès à un logement  afin qu’ils puissent stabiliser leur vie affective et mettre au monde les enfants qu’ils désirent.  Tous ces points sont à regarder ensemble dans un programme avant de décider lequel se rapproche le plus de ses propres convictions. En s’attachant à ce que cette politique concerne toutes les familles, quelle que soit leur origine, et respecte l’un des droits fondamentaux de l’homme, celui de vivre en famille et donc  le droit au regroupement familial pour les personnes immigrées.

Le « mieux possible » ne saurait donc être envisagé avec le Front national, même si  la candidate s’est mise en congé du parti pour rassurer certains électeurs potentiels. Elle ne peut prétendre être la « candidate du peuple », comme elle ne cesse de le proclamer. Car le peuple de France est divers, brassé, de différentes origines, et de multiples appartenances sociales. Elle ne peut prétendre non plus réquisitionner le patriotisme. Peut-être est-ce précisément parce qu’ils aiment profondément leur pays, que ceux qui rejettent ses idées nationalistes ne veulent pas qu’elles imprègnent notre nation et ternissent son image.  C’est parce qu’ils croient à la place de la France dans le monde, qu’ils refusent l’enfermement derrière des frontières et la veulent actrice au sein de l’Union européenne.

Face à Marine le Pen, un candidat peu connu, Emmanuel Macron.  S’il est élu, il n’aura pas reçu un blanc-seing de la part des millions d’électeurs qui ne l’ont pas choisi au premier tour et l’auront soutenu au second. Il ne devra pas oublier ce qu’il doit à ces votes de raison. Lui que l’on présente comme le candidat de l’argent, de la mondialisation, de l’Europe, devra – sans démagogie – apporter des réponses qui rassurent et donnent de l’espérance à ceux des Français que malmènent le chômage, la pauvreté et la précarité. Il ne devra pas oublier qu’on attend de lui qu’il gouverne autrement que ses prédécesseurs, et qu’il résiste aux sirènes de la « peopolisation ». Il devra écouter, dans le respect des lois sur la laïcité, ce que les croyants ont à dire sur l’évolution de la société et du monde, de mesurer ce qu’ils apportent par leurs engagements, dans l’objectif d’une écologie « intégrale », qui veille au bien de chaque personne et au bien de tous, dans une nature respectée et préservée.

L’abstention ou le vote blanc peuvent sembler une solution. N’est-ce pas une dérobade risquée ? Avec l’espoir de voir se vérifier sa disponibilité à écouter et à agir, sa capacité à apaiser un pays que la campagne électorale, violente, aura divisé, devant le choix qui se présente à nous, c’est le bulletin Macron que nous mettrons dans l’urne.  Bien conscients que notre responsabilité de citoyens, que la responsabilité des Semaines sociales,  ne s’arrêteront  pas au 7 mai.

Dominique Quinio,
Présidente des Semaines sociales de France

2 Commentaires

  1. JEAN

    Il faut ajouter à cette (prudente) description de MLP le constat chez elle d’une « indignation » feinte, qui se traduit par un mépris voire une haine -non feinte – de l’Autre. Cela éclatait à la télévision hier s’agissant de son concurrent E Macron.
    Plus grave, ce mépris/haine ressort des discours électoraux de MLP, lorsqu’il est question de l’Etranger : cette posture est bien sûr radicalement contraire à l’Evangile .
    Il faut le répéter sans cesse…
    Et donc « faire barrage »à MLP en votant EMacron.

  2. FINATI

    Bonjour, pour ma part je comprends que l’on soit distant voire plus vis-à-vis de madame Le Pen mais avec monsieur Macron nous aurons déconvenues sur déconvenues, il représente exactement ce que la France qui peine ne veut plus voir : l’arrogance de la réussite, le parisianisme des élites, la force de ceux qui s’en sortent dans la mondialisation, la classe d’en-haut qui ignore superbement ceux d’en-bas etc. Je suis prêt à parier que les fractures vont s’accroitre et non se résorber car l’UE telle qu’il veut la renforcer n’est pas celle de ceux d’en-bas mais celle de ceux d’en-haut.
    Quelle tristesse d’avoir laissé les media éliminer monsieur Fillon! Il nous reste les législatives pour essayer d’infléchir la victoire arrogante de monsieur Macron et de tous ceux qui le soutiennent.

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