Le traitement de la santé dans la campagne présidentielle, reflet de notre société ?

Par Mathieu Monconduit

Dans une campagne présidentielle, mettre en avant des propositions significatives pour faire évoluer le système de santé revient-il à une partie de roulette russe ? Avant même que François Fillon en ait fait l’expérience avec une proposition pour séparer petits en grands risques et en répartir les charges entre Assurance Maladie et OCAM (Organismes Complémentaires d’Assurance Maladie), le sujet ne s’était que prudemment invité dans les programmes des candidats. Les apports ont été, pour l’essentiel, réduits  à répondre aux inquiétudes mises en exergue par les sondages: déserts médicaux, coût des lunettes, des prothèses auditives ou des soins dentaires, parfois complétés de mesures ponctuelles concernant la  prévention, les rémunérations, la gouvernance. Et pourquoi, en matière de santé,  aller au delà de ces mesures fragmentées quand ces mêmes enquêtes confirment, malgré ces inquiétudes,  la satisfaction globale de la population pour le fonctionnement du système et surtout les réserves pour toute modification risquant de toucher à « mes droits »?
La finale de cette campagne ne va pas bousculer cette prudence. Elle permet seulement de confirmer que le domaine de la santé est révélateur des spécificités d’un projet de société.

Chez Marine Le Pen, le rejet assumé de l’étranger se concrétise par un délai de carence pour celui-ci de deux ans avant l’accès aux droits aux soins, tandis que la suppression de l’Aide Médicale d’Etat (AME), et la lutte contre les abus et fraudes, qui leur sont imputés pour une bonne part, permettront de maitriser le déficit de l’Assurance Maladie. C’est un État central fort qui protégera les autres, « prenant en compte la pénibilité des métiers de la santé » ou « augmentant les exemptions de franchises pour les plus précaires » et remettant en chantier le dossier du 5 ° risque pour la dépendance; il n’hésitera pas à brandir l’arme ( à un coup ?) de la licence d’office pour contrôler les abus de prix des médicaments.
Emmanuel Macron n’a pas de mesure emblématique comme la suppression de l’AME. Par touches successives, il manifeste sa démarche transgressive rompant avec l’ordre établi : s’appuyer davantage sur les personnels soignants que sur le système de santé ou les établissements pour traiter de la répartition de l’offre de soins, décloisonner non seulement la ville et l’hôpital, mais aussi les tâches (réglementées) entre les professionnels de santé. La « révolution de la prévention » ne partira pas de l’État, mais « se construira, à partir des territoires, par des initiatives multiples avec élus et professionnels de santé ». La régulation des prix des dispositifs médicaux se fera par la mise en concurrence.
Comme leurs concurrents du premier tour, la santé est pour Emmanuel Macron et Marine Le Pen d’abord l’occasion d’illustrer la société renouvelée qu’ils proposent. Mais c’est une santé déshabitée des réalités diverses de ses professionnels et des personnes qui y recourent, où manque le souffle sur le sens, c’est-à-dire celui du soin qui relie les uns aux autres. Ce soin manifeste, par l’intermédiaire d’une organisation, de savoirs, de comportements, de choix financiers…, l’attention portée par la société à tous ses membres, particulièrement aux plus faibles. Les défis démographiques, culturels, technologiques, économiques, menacent ce soin et avec lui ce qu’il apporte à la légitimité de cette société. C’est un tout autre niveau de réflexion et de renouvellement, sollicitant de multiples acteurs, qui doit être appelé.

Mathieu Monconduit,

Membre du Conseil des Semaines Sociales de France

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