Ni amalgame, ni déni

Par Bernard Ibal

Tout le champ sémantique du dégout, de la colère et de l’incompréhension a déjà été épuisé suite aux événements récents. Je m’en tiendrai à deux mots pour dénoncer deux grands maux à bannir de nos réactions face au massacre de policiers et journalistes de « Charlie-Hebdo » perpétré au nom de Dieu : amalgame et déni.

Le refus d’accuser l’Islam de crimes commis par une minorité terroriste qui instrumentalise cette religion est heureusement partagé par tous les Républicains. Mais ce rejet de l’amalgame ne va pourtant pas de soi ; il exige une volonté politique et un engagement spirituel.

Bien sûr, la différence d’attitudes religieuses est flagrante entre d’une part la masse des musulmans fidèles à leurs vertus de miséricorde et d’hospitalité, et d’autre part les « intégristes » transis de haine contre les « infidèles ». Mais il y a l’ambiguïté d’une certaine porosité que cultive par exemple la forte influence de l’Arabie Saoudite wahhabite et de certains émirats ( à la fois promoteurs de l’intégrisme et membres de la coalition contre les barbares de « l’état islamique ».) C’est pourquoi j’invoque une volonté spirituelle et politique, un militantisme du « vivre ensemble », du rapprochement interreligieux et de la paix, dans le respect de l’altérité et sans jouer les donneurs de leçons occidentales. Nous ne devons pas en effet laisser seule la majorité musulmane tolérante. L’ouverture à l’autre implique que je ne reste pas le même qu’hier. Ainsi suis-je fier qu’il y ait des musulmans pratiquants à la CFTC. J’ai aussi le sentiment d’être quelque peu utile à l’Institut des Hautes Études du Monde Religieux qui développe l’inter religieux. C’est aussi l’un des combats des SSF.

A l’opposé de ceux qui veulent stigmatiser l’Islam tout entier, il y a ceux du déni de réalité. A les en croire, il n’y aurait pas vraiment un danger du radicalisme islamique. Ils se demandent aussi si les terroristes sont vraiment des musulmans. Ce n’est pas à nous de délivrer des labels de foi musulmane : les « djihadistes » se disent musulmans, c’est une réalité. Par ailleurs il n’est plus temps de se morfondre dans la culpabilité ( effectivement possible) de l’Occident. Les résistants au nazisme n’étaient pas paralysés par la mémoire de l’erreur du traité de Versailles de 1918-1919 par lequel les alliés ont soumis l’Allemagne à la misère et à l’humiliation, tremplins pour Hitler. Ils se sont battus sans état d’âme. L’Islam radical existe, il est dangereux, il impose un état de guerre. Certes il faut davantage d’éducation républicaine, mais l’appel à la laïcité ne suffit pas à endiguer l’intolérance violente des fanatiques. Là encore il faut un engagement spirituel et une volonté politique : les démocraties doivent se défendre mais en restant des démocraties, c’est-à-dire sans utiliser la barbarie contre la barbarie, et la haine contre la peur.

In fine, je voudrais en appeler à une spiritualité plus fervente pour trouver dans la transcendance des monothéismes l’énergie de la fraternité universelle et pour que les démocraties ne se renient pas dans ce néoracisme entretenu par les populismes. Quant au souhait de volonté politique, il se résume par « ni amalgame, ni déni de réalité ».

Bernard IBAL

Vice président des SSF

 

2 Commentaires

  1. JPRosa

    On ne choisit pas toujours ses ennemis. La dure réalité qui nous impose d’ouvrir les yeux doit nous conduire aussi à « ne pas laisser seule la majorité musulmane tolérante ».
    Mais comment faire ?
    La session 2008 des SSF avait ébauché des pistes en ce sens :
    http://www.ssf-fr.org/56_p_6867/message-abrege.html
    A la lecture, cela tient la route. Aujourd’hui il faudrait :
    – Revoir de fond en combe l’enseignement des religions à l’école, et notamment à l’université qui souffre d’un laïcisme obtus et pesant. Les esprits sont ouverts à cela. La ministre ébauche des mesures en ce sens,
    – Permettre que les lieux de cultes musulmans soient financés d’une manière ou d’une autre par l’impôt et pas par les oligarchies wahhabites du Golfe
    – faire en sorte que les pasteurs de toute religion reçoivent un enseignement de droit public et civil à la hauteur de leur tâche,
    – favoriser les associations qui œuvrent au dialogue inter-religieux en lien avec les institutions publiques, tels sont quelques uns des chantiers urgents, toujours repoussés au nom de la sacro-sainte mais très aveugle laïcité – certes très bonne mais qui souvent masque une irréligiosité foncière.
    Et, puisque nous sommes en guerre, revoir nos liens avec les Etats qui soutiennent le terrorisme islamique.

  2. Mathieu Monconduit

    Les risques de détournement des religions ne doivent pas être niés ; les français de confession musulmane que nous côtoyons demandent que nous en fassions un sujet de travail commun. Mais ils nous interrogent alors sur les limites entre promotion intégriste et défense du sacré.
    « L’on espère, non seulement des savants en religion… mais de l’immense foule de leurs fidèles, le courageux aggiornamento qui permettra d’énoncer enfin que le culte du sacré est, en démocratie, une atteinte à la liberté de penser ».Ces lignes de BHLévy ( Le Monde 9 janvier 2015) m’obligent à reconnaitre qu’elles manifestent le risque d’un autre intégrisme, celui de la négation du sacré.
    Il ne s’agit pas de sacraliser des idoles, mais d’accepter qu’au cœur de chacun , il y ait une flamme , plus ou moins vaillante, alimentant la quête de sens , la recherche de Dieu. La faire vaciller ou l’écraser, par la négation frontale ou la dérision, comme peuvent le faire de beaux esprits par leur force de réflexion et d’expression, c’est imposer sa propre pensée, supposée libératrice ; c’est attenter au libre cheminement de chacun vers la source sacrée.
    Par delà les manifestations d’unité de ce 11 janvier, ne nions pas cet intégrisme de négation du sacré , qui empêche le travail commun nécessaire entre tous les hommes , de toutes cultures et de toutes religions, désireux de développer le « vivre différents ensemble » , non seulement en France mais sur toute la planète.

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