Mères porteuses : le corps ne peut faire l’objet d’un contrat

Par Jean-Pierre Rosa

Le 26 juin dernier La Cour Européenne des Droits de l’homme a rendu un arrêt demandant à la France d’assurer aux enfants nés de mères porteuses « une vie sociale satisfaisante » sans contester pour autant à la France son droit à interdire la gestation pour autrui. Cet arrêt a suscité un grand émoi car il semble remettre en compte l’interdiction de la GPA. Pourtant il n’en est rien. Mais il faut avouer que l’écheveau juridique est complexe. Plusieurs principes fondamentaux interviennent en effet dans cette affaire.

Le premier est un très vieux principe – latin puis français, en réalité universel – qui dit que « nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude », ce qui signifie que l’on ne peut faire valoir une faute que l’on a commise pour en tirer parti. C’est du simple bon sens. Or, en l’espèce, les parents « d’intention » violent ce principe. C’est la raison pour laquelle aucune juridiction française ne peut, en première analyse, accepter de transcrire dans l’état civil français l’état civil d’un enfant obtenu au moyen d’un contournement du droit (GPA à l’étranger).

Le second principe est l’ « indisponibilité du corps humain », entré dans le code civil français en 1994 et qui stipule que le corps humain n’est pas une chose qui pourrait faire l’objet d’un contrat. Ce principe qui fonde l’interdiction de la GPA en France et garantit l’absolue gratuité des dons des produits du corps humain (sang, sperme, ovocytes, organes) n’est pour l’instant pas reconnu par l’ensemble des États. Il semble bien que, sur ce point, la France ait une position plus juste que bien d’autres états du monde, comme c’est le cas aussi pour l’interdiction de la peine de mort. On peut espérer que, sur ce point, la France fasse école dans le monde.

Le troisième principe fondamental concerne l’ « intérêt supérieur de l’enfant ». Ce principe qui apparaît au 19° siècle se précise au fil du temps. Le droit à l’identité fait partie aujourd’hui de l’intérêt supérieur de l’enfant et s’impose aux états signataires de la convention internationale relative aux droits de l’enfant ratifiée par l’assemblée de l’ONU en 1989. C’est ce principe qu’a suivi la Cour européenne dans son arrêt : en effet, ne pas disposer d’un état-civil français est un obstacle à la vie sociale de l’enfant et au respect de sa vie privée.

Comment concilier trois principes apparemment aussi contradictoires ? Tout d’abord, pour assurer une vie sociale satisfaisante à l’enfant, on dispose de bien d’autres ressources que la simple transcription d’un état-civil obtenue de façon frauduleuse : tutorat, adoption simple par exemple. Ensuite il est important de poursuivre de façon beaucoup plus sévère les personnes qui contournent la loi et, surtout, toutes celles qui aident à le faire. Enfin et surtout, il faut réaffirmer ce principe tout à fait central du droit français qui sépare les objets des personnes et interdit tout commerce des femmes et de leur corps.

Heureusement le président de la République s’est montré très clair et très ferme sur ce point en se prononçant contre toute forme de légalisation des mères porteuses. C’est pourquoi nous lui adressons une lettre ouverte qui peut être signée par chacun d’entre nous afin qu’il se montre courageux et ferme dans la poursuite de ce combat.

 

–  Voir la pétition.

7 Commentaires

  1. Nathalie

    Et oui, interdisons la gestation pour autrui, comme interdisons l’euthanasie au nom des sacro saintes valeurs morales. Que faire de ces femmes qui ne peuvent avoir d’enfants à cause d’un utérus défaillant ? Quel sens alors donner à la vie pour ces femmes qui ne pourront jamais avoir d’enfants ?
    Aux Etats-Unis, les femmes qui acceptent de porter un enfant pour une autre, ont l’obligation d’avoir déjà eu un – ou des – enfants. Elles sont rémunérées puisqu’elles doivent cesser de travailler le temps de la grossesse. Il ne s’agit nullement d’un marché. Des femmes chrétiennes le font généreusement précisément pour ces femmes qui ne peuvent pas avoir d’enfants.
    Alors plutôt que d’interdire – solution de facilité – et de rester ancrer sur ces positions morales et d’arrière-garde (car la France, en bon pays de vieux qu’elle ait et a toujours été puisqu’elle ne donne la parole qu’à ces vieux), pourquoi ne pas réfléchir à une agence qui permettrait à des femmes de porter la vie pour d’autres ? Ce système serait réglementé par l’Etat, tout comme l’ait la PMA, qui obéit à des règles très strictes. Mais c’est vrai, restons conservateurs, ne faisons pas évoluer notre droit en fonction des nouveaux enjeux.
    On assiste en ce début de millénaire à un néo-conservatisme de la part de certains courants que l’on croyait désuet. En ces temps de mondialisation et d’ouverture des frontières, on ferait mieux de doter notre droit des armes juridiques afin de l’adapter à ces situations nouvelles. Mais tant que nous serons gouvernés par des rétrogrades bien français qui n’ont jamais quitté la France, le système ne pourra pas évoluer.

    • Semaines Sociales de France

      Je rappelle qu’il n’y a pas besoin d’interdire la GPA ni l’euthanasie car, à ce jours, elles sont interdites en France.
      Je redis qu’il ne s’agit pas de mettre en avant pour la GPA des « sacro saintes valeurs morales » mais tout simplement de travailler sur le conflit des trois principes que je rappelle dont le principe de non-disponibilité du corps humain me semble être un progrès par rapport au droit des autres pays. .
      Je signale en effet qu’aux Etats-Unis, les contrats qui régissent, dans certains Etats, pas tous, la maternité de substitution, sont tous des contrats de droit commercial. Ceux qui tirent profit de cette situation ne sont effectivement pas toujours les mères, tout au moins pas majoritairement en Californie, mais les agences privées qui rédigent les contrats et les avocats qui entrent en scène lorsqu’il y a conflit. Je pense que les contrats ainsi passés seraient qualifiés en France de contrats léonins, certaines clauses ne pouvant être discutées par les parties.
      La PMA est pour l’instant très mal réglementée par l’Etat. Les Cecos ne sont toujours pas disposés à abandonner sacro saint principe de l’anonymat du donneur, trop inquiet qu’ils sont, non pas de la baisse des dons, mais de ce que l’on pourrait découvrir. Les CECOS sont des boites noires hors droit qui couvrent des situations initiales d’anarchie totale et, aujourd’hui, ne croisent pas leurs données, ce qui laisse la porte ouverte à une progéniture innombrable et potentiellement « incestueuse ».
      Les SSF se sont prononcées dès 2009 sur l’accès aux données des enfants nés de PMA hétérologues. Mais il est difficile, dans ce pays, de défendre des positions qu’une perception rapide voit comme incompatibles parce que « néo-conservateurs ».
      JPRosa

  2. Nathalie

    L’anonymat s’applique en France pour tous les dons d’organes. Ce n’est donc pas une exclusivité du dons de gamètes.
    Les cecos sont tous rattachés à des hôpitaux et font partie du service public depuis 1992. Ils sont gérés par des médecins et sont très réglementés, contrairement à vos affirmations.
    Je vous invite à lire plus précisément les activités du cecos: http://cecos.cluster005.ovh.net/content/le-don-de-sperme-4

    Il semble que vous omettez dans votre raisonnement sur la GPA une chose essentielle: c’est qu’il y a deux manières de dire le droit en France, par la loi ou par la jurisprudence. Ce qui s’applique pour la gpa, à savoir la reconnaissance d’un enfant né sous gpa, est une reconnaissance par les tribunaux. La loi est là pour dire le droit, de manière générale, tandis qu’il revient au juge d’appliquer cette loi à un cas particulier. Ainsi se créent chaque jour des exceptions au droit.
    Et qu’est-ce que le droit, sinon un principe qui peut être changé au gré des gouvernements ? Une loi peut-être faite ou défaite en fonction du législateur. Nous en avons des exemples à chaque changement de gouvernement.
    Si l’on devait un jour autoriser la GPA en France, je doute que cela se fasse sous le statut de droit privé. En France, pays de la sur-règlementation, où l’Etat se mêle de tout, une telle agence relèverait forcément du droit public. Vous vivez dans le passé cher monsieur. Il va falloir accepter que le monde autour de vous change, ainsi que la législation dans de nombreux domaines.

  3. ROSA

    Bonjour Nathalie, vous faites une confiance tout à fait excessive aux médecins, au service public et, par voie de conséquence, aux CECOS. Plutôt que de vous faire un long exposé, je vous invite à lire l’article de l’Express paru au moment où l’Angleterre découvrait, abasourdie, l’existence d’un donneur de sperme père de … 533 enfants. Cela ne peut pas arriver en France ? Mais si, bien sûr, la suite sur le net :
    http://www.lexpress.fr/actualite/societe/en-france-un-donneur-de-sperme-peut-il-avoir-533-enfants_1140817.html

    Ceci dit, je suis, vous l’avez compris, tout à fait opposé à faire de l’enfant à naître l’objet d’un contrat commercial comme c’est le cas en Californie et aboutit, fatalement, à un marché. Bien sûr pas un marché d’enfants, mais un marché d’avocats, d’agences, bref de ces « intermédiaires » à la GPA interdits et lourdement sanctionnés, pour l’instant !, en France.

    Votre raisonnement sur le droit (loi ou jurisprudence) est juste mais dans le cas où il y a vide juridique. Or, pour la GPA, il n’y a pas vide juridique mais interdiction. (Loi bioéthique de 1994) D’ailleurs l’application par les juges de la décision de la CEDH pose problème et tarde à venir.

    Quant à la multiplication des lois et à leur changement incessant, croyez-vous vraiment qu’il s’agit là d’un progrès tellement fulgurant qu’il faille s’en réjouir ? Je sais bien que « tout le plaisir est dans le changement » mais quel changement ? Pour quel bien ? C’est là qu’est la question.

  4. Patrick

    Cher Jean Pierre Rosa
    Je voudrais soutenir votre position, car les seules commentaires postés sont hostiles et en restent à des dénonciations de néo-conservatismes. il n’y a aucun argument solide avancé en faveur de la légalisation de la GPA, ni même de la PMA pour des raisons autre s que lutter contre la stérilité. Or toutes ces techniques soulèvent de nombreux problèmes , que vous n’avez que partiellement abordés. Par ailleurs, ce qui me scandalise dans la position de nombreux défenseurs de la PMA et de la GPA c’est qu’ils sont farouchement contre les OGM, la fracturation hydraulique des schistes, pour le maintien de la biodiversité la plus large possible. Mais lorsqu’il s’agit de l’humain, tous les bricolages sont acceptés sans y regarder de prés.

  5. Nathalie

    Oui il faut arrêter d’être parano. On y croit au super donneur, épris d’une grande générosité ou d’un narcissime tel qu’il va semer sa semence dans tous les Cecos. Les gens ne sont pas aussi ‘tarés’. Il faut arrêter avec ces délires.
    Et au fond, ça ne changerait pas de nos ancêtres, qui se mariaient entre cousins, que ce soit dans les grandes familles bourgeoises ou à la campagne, entraînant déjà de la consanguinité. Les problèmes sont les mêmes, les techniques juste différentes.
    Concernant la Pma et la gpa, on y arrivera, au moins pour la pma pour les couples homos. Comme l’a dit Caroline Mecary chez Taddei en 2013, ça arrivera. On ne sait si se sera dans cinq, dix ou vingt ans, mais on y arrivera. Attention, je n’ai pas dit que je partage ces positions, mais je dis simplement qu’il y a des groupes constitués, qui disposent de leurs avocats, de leurs juges, de soutiens politiques, qui font avancer ces causes.
    Qui représentez-vous les Semaines sociales ? Personne. Vous êtes une association de vieux catholiques, inconnus au delà de la sphère catholique. Vous n’avez personne dans les hautes instances de décision de la société française. Alors vous pouvez vous lamenter tout ce que vous voulez, publier des tribunes que personne ne lit (il n’y a qu’à voir le nombre de commentaires à la suite de vos articles pour vérifier votre audience), mais il y a des forces agissantes qui travaillent tous les jours pour faire avancer cette société. Et eux tiennent des présidences de conseil généraux, des tribunaux qui statuent sur des cas concrets de reconnaissance d’enfants nés sous gpa à l’étranger ou d’enfants nés sous pma. C’est comme pour l’euthanasie. Celle-ci est pratiquée quotidiennement en France, que vous le vouliez ou non. Et si c’est en accord avec le médecin et la famille, ça reste tu.
    Quant à Patrick, José Bové est contre la gpa.
    Je ne dis pas que je partage ces positions, mais je constate aussi où va cette société.
    Mais pour une association majoritairement de gauche, vous feriez mieux de revoir vos valeurs.

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