Manifestants, le compte n’est pas bon

Par Dominique Quinio

Certes, c’est prendre le sujet par le petit bout de la lorgnette. Se poser la question du nombre de manifestants battant le pavé parisien paraît de peu d’intérêt quand sont en jeu la qualité du climat social, la mobilisation contre une loi, la représentativité d’un mouvement qui dure et les moyens de sortir de l’impasse. Il n’empêche : chaque manifestation renvoie aux mêmes incompréhensions, aux mêmes écarts farineux entre des comptages faits par la police et ceux produits par les syndicats.  Au mieux on sourit, au pire on enrage. Cette incapacité à s’entendre sur l’importance numérique d’un événement public en dit long sur les més-ententes françaises…

« Selon la police, selon les organisateurs ». L’expression est même entrée dans le langage courant : combien de fois nous arrive-t-il de l’utiliser à propos d’une affaire sur laquelle les avis divergent fortement ? La dernière mobilisation contre la Loi Travail n’a pas échappé à la règle de la non-règle de calcul commune : un rapport de un à 10 entre les chiffres proclamés par la CGT et ceux avancés par la Préfecture de Police. On se souvient que les manifestations contre le mariage pour tous avaient suscité les mêmes polémiques, les mêmes interrogations, les mêmes suspicions. De quelque bord que viennent les opposants, ils soupçonnent les pouvoirs publics de minimiser l’ampleur des mobilisations.

Pourtant un rapport demandé à un groupe d’experts indépendants en 2014 et rendu public en 2015, (il était composé de Dominique Schnapper, directrice de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales, de Pierre Muller , inspecteur général de l’Insee, et de Daniel Gaxie, professeur de Sciences politique à Paris I Panthéon- Sorbonne) avait conclu que les méthodes de la police étaient les plus fiables et qu’il n’y avait pas de distorsion entre ses chiffres remis à la Préfecture et ceux communiqués à l’opinion. Une évaluation un peu corrigée à la hausse pour pallier d’éventuelles erreurs, et vérifiée au lendemain de la manifestation au moyen de vidéos. Les Sages invitaient les journalistes à faire le même travail que la Commission d’experts et proposaient qu’il soit permis aux  médias d’assister aux opérations de comptage.

La commission espérait ainsi « susciter la confiance du public de bonne foi ». Peine perdue, apparemment. Voilà pourquoi ce petit bout de la lorgnette qu’est le comptage des manifestants zoome sur une question cruciale empoisonnant notre débat public. Qui croire ? Les citoyens, souvent, jugeant qu’aucun des deux nombres proposés  n’est crédible, coupent la poire en deux. Peut-on se satisfaire de ce comptage par défaut qui, finalement, renvoie les protagonistes dos à dos. Qui croire ? Personne, au bout du …compte.

Le cercle est bien peu vertueux. Gonfler le nombre de manifestants oblige, la fois suivante, à la surenchère pour prouver que le mouvement ne s’essouffle pas.  Mais, au fait, sont-ils si importants, ces records de participation revendiqués ? Réunir quelques centaines de milliers personnes dans la rue n’est pas rien. Les rassembler à plusieurs reprises n’est pas anodin. Il ne devrait pas être nécessaire d’en rajouter. Sinon pour se présenter, avec plus de force, devant son interlocuteur, ministre ou patron.  Mais personne ne sera dupe. Et la « confiance du public de bonne foi » ne sera pas gagnée. Cette bataille-là  – plus que celle des chiffres – mérite pourtant d’être menée.

 

1 Commentaire

  1. Jean de Bodman

    Il faut appeler un chat un chat et le gros mensonge des organisateurs de la manifestation du 14 juin, annoncée dans tous les médias à son de trompe comme « énorme », un mensonge ou une … »affabulation »?

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