Loi travail : où va le syndicalisme ?

Par Bernard Jarry-Lacombe

Nous traversons collectivement une phase de doute, de questionnement, de manque de confiance en nous-mêmes et en l’avenir : le paysage syndical comme le paysage politique sont fracturés, les uns souhaitent plus de démocratie dans l’entreprise, les autres parlent de déni de démocratie parlementaire, quand d’autres pensent blocage et rapport de force. Une grande partie des citoyens, des salariés et des actifs plus généralement, observent la scène de loin et se demandent ce qui va naître de ce chaos.

Pendant ce temps le monde poursuit sa course : les évolutions technologiques et énergétiques modifient inlassablement les modalités du travail pour de nombreux acteurs, l’ouverture des marchés et les dérégulations bousculent les équilibres, les règles du jeu économique et financier ne sont ni claires ni maîtrisées, les inégalités de toutes natures perdurent et s’amplifient même, les attentes sociétales sont nombreuses et se diversifient… Nous sommes tous impliqués et embarqués dans une vaste transition économique et sociétale. Et quand tout bouge, il est dangereux de faire du surplace sauf à être rapidement en danger. Nous ne sommes pas isolés dans une bulle, il y a l’Europe, la mondialisation, la compétition généralisée, on nous observe !

Le travail est central dans nos vies et pour la société. Il construit les personnes mais son absence ou sa mauvaise qualité peuvent aussi les détruire. Les conditions du travail et sa régulation sont donc déterminantes.

Reconnaissons que le problème est complexe et qu’il n’a pas été abordé au mieux, ni dans la clarté, ni avec pédagogie, ni au bon moment. N’oublions cependant pas que cette réflexion, avec ses défauts et ses faiblesses, a été précédée de lois importantes (en 2013 sur l’emploi, les parcours professionnels et les droits rechargeables ; en 2014 sur la formation professionnelle et le CPF (compte personnel de formation) ; en 2015 sur le dialogue social et l’emploi) et préparée très en amont par une série d’études et de rapports approfondis (rapport Combrexelle en 2015 ; rapport Badinter et rapport Terrasse en 2016, ainsi que plusieurs travaux de recherche dès 1995), sans oublier la « position commune » sur le CPA (Compte Personnel d’Activité) signée par les partenaires sociaux sans la CGT le 8 février 2016. Reconnaissons ensuite que de nombreux acteurs ont une forte propension à polluer le débat pour mieux cacher leurs arrière-pensées et privilégient le blocage sur la discussion. Reconnaissons enfin que la presse dans son ensemble a tardé à expliquer de quoi on parle, pour se concentrer sur le comment on en parle ou s’affronte. On assiste ainsi à une sorte de bataille de communication avec un risque de désinformation de la part des parties prenantes.

Or quel est l’enjeu ? Il est très vaste : quelle place donner à la négociation en entreprise, est-ce une question de démocratie et de subsidiarité ? le syndicalisme en sortira-t-il renforcé ou affaibli ? y-a-t-il un risque majeur pour les salariés ?

Dès lors qu’on s’interroge sur les avancées les plus significatives du projet de loi, deux mesures émergent à l’évidence à ce jour :

1) Le CPA (Compte Personnel d’Activité) nouvelle base du droit social pour tous (salariés, demandeurs d’emploi, fonctionnaires, indépendants…) recueille plutôt un certain consensus. Mais c’est sur la définition de son périmètre que les appréciations divergent et qu’il faut trouver un compromis entre le possible et le souhaitable. Attacher les droits à la personne répond bien à la progression de parcours professionnels de moins en moins linéaires, notamment parce que les métiers se renouvellent au rythme des connaissances, des technologies, des besoins, des usages et des marchés. Le statut des emplois aura de moins en moins d’importance à l’avenir, par contre les compétences et les fonctions exercées en auront de plus en plus d’où la place centrale de la formation et de l’implication des travailleurs.

Le CPA vise aussi à compenser les inégalités de la formation initiale et des diplômes, à soutenir les jeunes en difficulté à l’entrée dans le travail, à réduire l’impact des périodes de chômage, à valoriser l’engagement citoyen, etc. Tout cela est important.

2) L’évolution du dialogue social est aussi un enjeu majeur car c’est un des points faibles de notre pays qui possède une grande multitude -de moins en moins pertinente- de branches professionnelles, dont la réduction a été actée en 2015 par la loi Rebsamen. Le projet de loi vise à renforcer le dialogue social local déjà existant -plus de 35 000 accords d’entreprise ont été signés à ce jour- car il se pratique au plus près des réalités et des particularités de chaque entreprise. Le texte prévoit 3 niveaux : les dispositions d’ordre public qui s’imposent à tous, ce qui peut être discuté dans le champ de la négociation collective, enfin les dispositions supplétives qui s’appliquent en l’absence d’accord.

La négociation d’entreprise et l’introduction du principe de l’accord majoritaire semblent acceptables aux yeux de nombreux acteurs, mais c’est sur l’articulation entre les accords de branche et les accords d’entreprise que se cristallisent les divergences stratégiques : un accord local sur certaines problématiques précises prévues dans la loi (telles que l’organisation du temps de travail, la majoration des heures supplémentaires, etc) peut-il prévaloir sur un accord de branche ? Ce choix est inacceptable pour certaines organisations.

S’y ajoute la question de la consultation des salariés quand il n’y a pas d’accord majoritaire lors d’une négociation locale : les organisations signataires représentant au moins 30% des salariés, et elles seules, pourront-elles demander une consultation des salariés pour trancher une question, prenant ainsi le risque d’être désavouées si elles ont mal analysé les attentes des salariés ? Sans négociation ni accord, c’est le droit du travail actuel qui continuera à s’appliquer.

L’accord majoritaire, la prééminence de l’accord local dans certains cas et la possibilité de consulter le personnel pourraient contribuer à renforcer le rôle des représentants du personnel dans l’entreprise et leur responsabilité vis-à-vis des salariés. Pour la CFDT notamment, c’est l’avenir du syndicalisme et la légitimité de l’action syndicale qui se jouent sur ces points.

Les marges de manœuvre sont faibles, à la fois politiquement et syndicalement pour en sortir. Le calendrier est défavorable et de grands principes sont en jeu. Renoncer à ces avancées porteuses de progrès serait prendre de grands risques pour l’avenir. En tout cas il n’est pas acceptable que le blocage par des minorités quelles qu’elles soient devienne une norme d’action pour contraindre une négociation, les citoyens et leurs représentants, ni que certaines formes de violence puissent remplacer le débat et la confrontation des idées.

Bernard JARRY-LACOMBE, Président du centre de formation CREFAC, ancien délégué général de l’Observatoire des cadres et du management

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