Le réel déformé

L’événement a fait la « une » des médias : à Joué les Tours, petite ville d’une banlieue plutôt ordinaire (donc calme et tranquille), un homme a gravement blessé trois policiers avant d’être abattu. Le hasard de mes courses a fait que, dans les heures qui ont suivi ce drame, je sois passée à trois reprises devant le commissariat où se sont déroulés les événements, ce qui m’a permis dans un premier temps de voir les habitants et les commerçants calmes et dignes, et plus tard, de nombreuses voitures (police, CRS, pompiers, urgentistes, médias) et des caméramans encore en poste 20hr après les événements. Et plus tard, je découvrais dans les journaux le terme de djihad associé à ma pauvre ville.

Ce qui me frappe dans tout cela, c’est que, comme souvent, on tire des conclusions hâtives à partir d’un unique événement extrême. Les statisticiens le savent : quand on essaie d’analyser sérieusement un phénomène, on calcule des moyennes et d’autres indicateurs qui prennent en compte l’ensemble de sa répartition dans un territoire donné. En ne prenant en compte que les extrêmes, on accorde une importance excessive à « celui qui crie plus fort », sans considérer les choses dans leur ensemble, et cela est bien évidemment totalement illégitime, faux et dangereux. En utilisant ce prisme, la population de la ville de Joué les Tours risque de passer pour un terreau islamiste, alors qu’il s’agit en réalité d’un lieu où les membres d’une importante communauté musulmane modérée dialoguent sereinement avec les membres de la communauté chrétienne présente sur les lieux, dans un esprit d’ouverture réciproque, partageant depuis une cinquantaine d’année une histoire commune.

Cette façon de procéder (tirer des conclusions à partir de quelques cas extrêmes) s’applique bien sûr à bien d’autres contextes que celui de l’événement tragique survenu dans ce commissariat, nous donnant de voir le monde qui nous entoure au travers de lunettes déformant le réel dans un sens généralement tragique : du coup, au lieu de nous réjouir que le monde progresse globalement dans le sens du dialogue, nous voilà épouvantés par les progrès du terrorisme et de l’intolérance, comme si notre vision du monde était obstruée par la vision déformante que peuvent nous en donner certains médias. Il est grand temps de réagir, en diffusant aussi une vision du monde plus proche de la réalité, et du coup plus pleine d’espérance !

Catherine Belzung, membre du CA des Semaines Sociales

1 Commentaire

  1. Marthe

    Merci pour cet éclairage. J’y retrouve le ressenti désagréable que j’ai trop souvent dans le traitement médiatique d’un évènement tragique où on réduit la vie d’une ville à cet évènement.
    Cela me rappelle aussi l’époque où je résidais dans un quartier populaire à Nantes qui avait mauvaise réputation. Il y avait un décalage entre ce que j’entendais dire de très négatif par des personnes extérieures au quartier et ce que je vivais. J’y menais une vie paisible parmi une population d’origine très diverse.
    La méconnaissance de l’autre engendre les préjugés et la crainte. Lorsqu’on se connaît, on ne voit pas un indien, un arabe, un ivoirien … mais un être humain comme nous qui a ses joies, ses soucis, son quotidien.
    Marthe

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