Le contrôle qualité du diagnostic prénatal et ses dérives

Par Mathieu Monconduit

Le décret du 3 mai 2016 relatif à l’évaluation et au contrôle de qualité des examens de diagnostic prénatal et l’arrêté du 11 mai fixant les règles de bonnes pratiques en matière de dépistage et de diagnostic prénatals de la trisomie 21 pourraient s’inscrire dans une simple démarche vertueuse de contrôle qualité de tests largement répandus. Mais l’introduction d’une obligation nouvelle destinée aux biologistes en modifie le sens et en manifeste l’intention, bien différente.

Car l’obligation consiste à contribuer, par la transmission de multiples données, dont l’anonymisation est fictive, à la constitution d’un fichier national de toutes les femmes enceintes effectuant le dépistage de la trisomie 21, et des enfants issus de ces grossesses. Ce dépistage, jusqu’à présent, doit être proposé systématiquement aux femmes enceintes dés la première consultation. S’il est dit qu’il n’est « jamais imposé », il fait néanmoins partie d’un ensemble concourant déjà à la stigmatisation et à l’élimination des embryons trisomiques (96 % des tests positifs à ce dépistage sont suivis d’une interruption médicale de grossesse, IMG). Et de quels risques d’usage d’un tel fichier les femmes sont elles informées ? Ainsi , pour elles mêmes, celui d’être cataloguées « bonnes » ou « mauvaises » citoyennes selon leur adhésion ou leur refus de l’IMG, voire comme génératrices d’enfants « tarés » exposables à l’opprobre publique ; pour celui du suivi d’une politique d’éradication des enfants trisomiques avec l’identification de facteurs sociologiques de « résistance » à celle-ci, devant générer des messages ou des actions ciblés ; ou enfin pour les différents professionnels de santé, acteurs du dépistage à l’IMG, l’identification de celles et ceux dont l’intervention serait trop fréquemment associée à un dysfonctionnement de l’ensemble du processus.

Car, ainsi que le souligne le Dr Patrick Leblanc, coordinateur du Comité pour sauver la médecine prénatale, dans une tribune au Quotidien du Médecin, «l’anonymisation des données soulignée par le ministère est illusoire car il est tout à fait possible de retrouver l’identité d’une patiente à partir des renseignements fournis : date de naissance, date de réalisation de l’examen, origine géographique, code-barres de l’échographiste, numéro de dossier fourni par le laboratoire…et les femmes ne sont pas informées de l’établissement d’un fichier national à partir de leurs données personnelles. En effet il n’est aucunement fait mention de l’indispensable consentement éclairé. La CNIL ne semble d’ailleurs pas avoir été sollicitée sur cet aspect essentiel ».

Une telle obligation, édictée par la puissance publique, parait pour le moins étonnante et mériterait de susciter des réactions au-delà de cercles restreints de défenseurs de la vie à ses extrémités. Notre pays ne fut il pas représenté parmi les juges de Nuremberg et n’a-t-il pas ratifié des déclarations des Droits de l’Homme initiées par l’ONU, condamnant toute discrimination, notamment pour des motifs génétiques ?

Voici des outils formidables de la connaissance en biologie, et une discipline médicale, exposés au risque de produire des marqueurs destinés à sélectionner des êtres humains pour les inclure dans des registres de personnes dont l’existence n’aurait aucun prix pour la société. Il est vrai que tout cela s’inscrit dans le progrès , promu avec le plan de médecine génomique présenté par le Pr Lévy, DG de l’INSERM, le 22 juin dernier, lequel affirme « La dimension éthique fait partie intégrante de la mise en place de ce plan. On ne développera pas efficacement la médecine génomique personnalisée sans répondre en même temps aux nombreuses interrogations que posent les citoyens ». Et si on commençait avec la trisomie 21 ?

Mathieu Monconduit, membre du CA des SSF

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