Par Jean-Pierre Rosa
L’OCDE a le mérite de tenir des statistiques à jour sur le long terme et de mettre ainsi en valeur des phénomènes qui risqueraient sinon, de rester inaperçus. Ainsi en va-t-il de la crise de 2008. Etrange crise qui a davantage été présentée dans les médias à travers le prisme de la crise de subprimes et des grandes banques, que dans ses conséquences économiques et sociales.
Or la crise financière de 2008 n’a pas seulement provoqué la faillite de Lehman Brothers, elle n’a pas seulement eu des retentissements sur les marges des grandes entreprises, elle a affecté très directement et pour longtemps les échanges internationaux, le chômage et les salaires.
Ainsi, selon l’OMC, la progression des échanges internationaux stagne à 3 % depuis 2009 alors qu’elle était de plus de 7 % lors des deux décennies précédentes.
Quant à l’emploi, nous en sommes en 2016 à une situation dans les pays de l’OCDE, proche de celle de 2007. Ce qui signifie qu’il a fallu près de 10 ans pour résorber la crise.
En partie seulement car les salaires, eux, sont bien en dessous du niveau de 2007. Comme le dit Angel Guria, secrétaire général de l’OCDE, « le redressement du marché de l’emploi n’est qu’à moitié achevé car les salaires restent à la traine ! ». En effet, dans de très nombreux pays de l’OCDE, dont le Royaume-Uni, les salaires horaires réels sont inférieurs de plus de 20 % au niveau qu’ils auraient atteint si la croissance des salaires s’était poursuivie au même rythme qu’entre 2000 et 2007. Et Angel Guria de continuer : « « Les pouvoirs publics doivent prendre des mesures globales et ambitieuses pour relancer les gains de productivité et la croissance des salaires, et pour lutter contre le creusement des inégalités sur le marché du travail ».
En réalité, la dérégulation généralisée qui s’est mise en place dans les années 90 à travers le monde a eu des effets négatifs très largement supérieurs à ses effets positifs.
Elle a accéléré la financiarisation internationale de l’économie par la création d’un marché mondial totalement incontrôlé de la finance. La spéculation qui en est le fruit le plus tangible a fragilisé les marchés boursiers, mettant à la merci de la moindre rumeur des pans entiers de l’économie mondiale. Elle a procuré un essor en trompe l’œil, indexé sur des capitaux virtuels. Elle a fragilisé les entreprises – même les plus grandes. Celles-ci se sont trouvées sommées de produire de plus en plus vite des marges de plus en plus grandes. Elle a aussi fragilisé les institutions internationales et même les États qui se sont vus notés comme de simples valeurs mobilières de placement. Elle a enfin, et ce n’est pas fini, fragilisé les syndicats qui sont, depuis toujours, les remparts les plus efficaces contre l’arbitraire.
C’est pourquoi il nous faut aujourd’hui entreprendre un vaste combat pour une saine régulation à tous les niveaux. Bien sûr régulation ne veut pas dire protectionnisme mais contrôle, transparence, orientation.
Qui pourra l’imposer puisque tous les échelons politique et économique se trouvent affaiblis ? La société civile, l’opinion publique éclairée et personne d’autre. Certes l’OCDE a désormais de plus en plus des accents de plus en plus sociaux mais ils n’auront que peu d’effets s’ils ne sont pas relayés par l’opinion, dans les corps intermédiaires, les partis, les institutions, les associations, les Églises, les grandes religions, les diverses familles de pensée.
Dans ce combat les chrétiens sociaux ont un long héritage qui commence avec l’encyclique la plus explosive pour son temps, Rerum Novarum, et se poursuit aujourd’hui avec la plus prophétique, Laudato Si.
Jean-Pierre Rosa, membre des SSF
Nous sommes sur le site des SS »de France ». Il est donc indispensable de pointer les singularités de la France.
Une de celles-ci et que les salaires réels français (après inflation ,très faible sur la période) n’ont jamais cessé de croître depuis 2004. En moyenne 1% par an (source OCDE). Ce % est le double de l’Allemagne, sans parler des autres pays OCDE où les salaires ont pu baisser.
L’augmentation continue des salaires en France, si elle avait été prise en compte, aurait donné une tonalité très différente à la demande de régulation sociale exprimée dans cette tribune: en France, le problème est le choix implicite (ignoré par la plupart des commentateurs…)) donné aux salariés en place , sans doute une des causes de notre chômage de masse. Il n’y pas de nécessité d’augmenter « plus » les salaires …Mais plutôt « moins »!
« Suite à une forte croissance salariale sur la période
2008-10 puis à une modération salariale en 2011,
l’évolution des salaires réels en France est
depuis lors similaire à celle de la moyenne des
pays de l’OCDE. »
Source : OCDE : http://www.oecd.org/fr/emploi/perspectives-de-l-emploi-de-l-ocde-19991274.htm, pays par pays, France.
Ceci dit, il est vrai que, pour l’OCDE, la France protège à l’excès les inclus. Mais en même temps, et cela est très nouveau, l’OCDE soutient la régulation. Et la régulation par l’ensemble des acteurs. La loi travail est peut-être une bonne loi sur le papier mais, sans légitimité collective, elle ne peut être une bonne loi. Encore une citation de l’OCDE : « Si le respect des droits des travailleurs n’est pas assuré dans tous les pays, on assistera à un nivellement par le bas en matière de salaires et de conditions de travail – une course qui dégradera les conditions de travail partout dans le monde. » – See more at: http://observateurocde.org/news/fullstory.php/aid/2723/Vaincre_la_crise_de_l_92emploi.html#sthash.WsQu21al.dpuf
Merci pour le rappel relatif à la hausse des salaires français récente,il est vrai plus proche de la moyenne OCDE depuis 2011(?).
Mais il est impossible de faire l’impasse sur les années précédentes: la terrible période 2004/2008 a vu la « digestion » douloureuse pour l’économie, augmentant in fine la hausse du chômage, des 35 heures, avec la « sur hausse » de 10% du SMIC en 4 ans. ( pour cause de « rattrapage » des multiples SMIC , par le haut )pour compenser l’erreur du maintien du salaire lors du passage au 35 heures. Surhausse, car le SMIC a crû de 10% de plus que sa hausse « normale »,ce qui en fait aujourd’hui un des salaires minimaux les plus proches de la moyenne salariale.
Aucun pays de l’OCDE n’a été assez rigide pour faire le mauvais calcul du choix d’augmenter le salaire des inclus contre vents et marées…
Nous continuons à en payer lourdement les conséquences: plus de salaires pour les inclus = moins d’emplois pour les exclus. Tout ceci est au débit (caché ) des 35 heures…