Déserts médicaux, déserts territoriaux

Par Mathieu Monconduit

La répartition des médecins sur le territoire mobilise nos élus de l’Association des petites villes de France (APVF) (1). Qu’a-t-on à répartir ? Il n’y a jamais eu autant de médecins inscrits au Conseil de l’Ordre des médecins : 281 000 en 2015 (2). Mais la réalité des « capacités opérationnelles » des 58 000 médecins généralistes, soignants dits de premier recours, est difficile à apprécier, ainsi que le montrent plusieurs enquêtes récentes (2, 3). Leur temps de travail au contact des patients est amputé par de multiples autres taches. Si l’on se projette à 5 voire 10 ans d’autres paramètres sont à prendre en compte telle la relève par les médecins de moins de 40 ans : ceux-ci sont deux fois moins nombreux que les médecins ayant actuellement plus de 60 ans en partance dans ce délai. De plus, le remplacement des retraités se fait par des générations s’efforçant de mieux concilier les diverses charges médicales et non médicales. Elles sont à majorité féminine : une fois installées, les femmes effectuent 25 % d’actes en moins que leurs confrères de l’autre sexe. Enfin, si un quart des nouveaux inscrits à l’Ordre des médecins sont titulaires d’un diplôme étranger, ceux-ci vont surtout pourvoir des postes hospitaliers.

Quelle répartition? Le Sénat en 2012 (4), l’APVF récemment (1), ont manifesté leur inquiétude devant la sous médicalisation de certains territoires. Les inégalités de répartition de l’offre de soins sont connues depuis longtemps et touchent toutes les catégories de soignants (5), mais elles deviennent des enjeux de politique régionale. Longtemps limitée à des comparaisons brutes d’effectifs, interrégionales ou interdépartementales, l’analyse a gagné en nuances (3). Elle prend en compte l’accessibilité en fonction de la distance, la pratique d’honoraires libres ou au tarif réglementé, la pyramide des âges des médecins en exercice et de la population. Ainsi sont identifiées des « zones de vigilance », en raison de leur sous médicalisation, actuelle ou à court terme. Elles sont présentes dans pratiquement toutes les régions, situées pour 85% hors des pôles urbains, dans les périphéries rurales des pôles moyens. La densité de médecins généralistes exerçant en secteur 1, c’est-à-dire ne pratiquant pas de dépassement d’honoraires, y est inférieure au tiers de la moyenne nationale (69/100 000). Ces inégalités se sont maintenues ou accentuées malgré diverses mesures incitatives expérimentées d’un gouvernement à l’autre ; elles ont pu être aggravées par des fermetures ou des réaffectations d’hôpitaux locaux en EHPAD, pour des raisons d’efficience ou de sécurité. Entre 2007 et 2015, la baisse des médecins généralistes a concerné toutes les régions mais avec des extrêmes allant de 5% (Corse, Alsace) à 16% (Bourgogne), voire 25% pour l’Yonne ou Paris intra muros (2). Face à cet échec, certaines voix politiques plaident pour reconsidérer la liberté d’installation des médecins en secteur conventionné dans les territoires de « surdensité » (1,4), comme cela est déjà imposé à toutes les professions de santé non médicales ou pour ré ouvrir des centres de santé.

Mais pour ces zones de vigilance, quelles voies nouvelles explorer ? La Fédération Hospitalière de France (FHF) intervient en vue d’une extension du périmètre des hôpitaux publics, sous forme d’antennes dans ces zones, ce qui provoque de fortes réactions du secteur libéral. La difficulté n’est elle pas plus profonde ? Ces zones ne sont elles pas aussi des zones de fragilité pour l’accessibilité aux services publics, aux commerces, à l’emploi pour des conjoints, voire pour l’accès à des avis médicaux spécialisés, à des plateaux techniques ? Les jeunes médecins, se considérant comme des équivalents de cadres supérieurs, ne se sentent pas vocation de supplétifs pour l’aménagement du territoire et, comme leurs ainés, se rebiffent quand des orientations leur sont imposées. Mais déconnectant leur lieu d’habitation et d’exercice professionnel, se libérant de l’astreinte d’une permanence de soins par une organisation de groupe, ils sont preneurs d’un exercice pluri et interprofessionnel, pouvant comporter des délégations de taches, articulé autour d’un projet de santé commun, qui corresponde aux besoins d’un territoire, élaboré avec la population (5). C’est un panel de solutions qu’il convient de mettre à disposition parmi lesquelles des pôles ou des maisons de santé ont leur place.

Mathieu Monconduit, Membre du Conseil des Semaines Sociales

Références citées

  1. Association des petites villes de France. L’offre de soins dans les petites villes . Février 2016 http://www.apvf.asso.fr/files/notes-techniques/Enquete-La-sante-dans-les-petites-villes.pdf
  1. Atlas de la démographie médicale en France Situation au 1° janvier 2015. Conseil national de l’ordre des médecins https://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/atlas_national_de_la_demographie_medicale_2015.pdf
  1. Portrait des professionnels de santé . Drees. Février 2016 http://drees.social-sante.gouv.fr/etudes-et-statistiques/publications/documents-de-travail/serie-etudes-et-recherche/article/portrait-des-professionnels-de-sante
  2. Déserts médicaux: agir vraiment. Rapport d’information de M. H. MAUREY, fait au nom de la commission du développement durable http://www.senat.fr/notice-rapport/2012/r12-335-notice.html
  3. Dépenser mieux pour la santé de tous. Semaines Sociales de France Octobre 2013. http://www.ssf-fr.org/offres/doc_inline_src/56/DE9penser+mieux+version+2013+09+30.pdf

 

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