Par Jérôme Vignon
Europe Info, organe mensuel d’information en ligne rattaché à la COMECE[1]devrait célébrer cette année son seizième anniversaire. Certains en doutent cependant, après le coup de semonce qui vient de lui être lancé par les Conférences épiscopales de Pologne et de Hongrie. Mécontentes de la teneur de deux articles critiques[2] à l’égard des orientations très peu démocratiques des gouvernements de leurs pays respectifs, elles ont »explicitement demandé le retrait « de ces deux textes du site « Europe info » et l’ont obtenu.
Pourtant ces deux textes, rédigés par des universitaires de renom, ne faisaient que produire une « analyse scientifique, soutenue par des faits avérés ». Pourtant Europe info n’est pas la voix officielle de la COMECE, ni celle du Centre social européen des Jésuites qui en assurent conjointement le contenu éditorial. Il est à priori choquant qu’une ligne éditoriale ouverte au discernement d’universitaires compétents, suscitant un très large intérêt, se voit ainsi « crossée ».
Alors comment en est on arrivé là ? Il y a longtemps qu’au sein des épiscopats de la grande Europe, l’Union européenne ne fait pas l’unanimité. L’image des deux poumons de l’Europe heureusement forgée par Jean Paul II au début de son pontificat pour rappeler que l’Europe puise son inspiration tant de l’Ouest que de l’Est, masque un malaise ancien. Certains épiscopats du centre et de l’est de l’Europe qui ont incarné la résistance à l’oppression communiste au prix de grandes souffrances, éprouvent encore une réticence à l’égard de la COMECE, créée par les épiscopats de l’Ouest dans les années 70 pour accompagner le développement de la CEE. Pour ceux-ci, il s’agissait d’encourager une oeuvre de réconciliation et de paix mettant fin à des conflits centenaires. Pour les autres, c’est le retour sous un « joug » supra national, alors que l’identité nationale vient tout juste d’être reconstituée.
Il m’est arrivé d’éprouver cette méfiance de la part de certains grands prélats de Pologne et de Hongrie, tel le jeune et remarquable cardinal Erdö primat de Hongrie, président de la CCEE[3] m’exposant ses critiques à l’encontre des institutions de Bruxelles qui se comportaient selon lui d’une manière qui rappelait le « COMECON ». Aux différences de mémoire historique s’ajoute le choc de « cultures pastorales « différentes, marquées par le Concile Vatican II à l’Ouest, attachées à l’Est à la verticalité du dogme incarnée dans la hiérarchie.
En bref, le travail de réconciliation entre l’Ouest et l’Est est loin d’être achevé au sein des Eglises catholiques d’Europe. Et l’on s’est en partie illusionné en pensant que les Eglises pouvaient être le fer de lance d’une reconnaissance mutuelle des anciennes et nouvelles démocratie européennes. Non seulement cette découverte mutuelle reste après douze années d’appartenance à l’UE encore largement à accomplir. Mais les évènements de Pologne et de Hongrie qui conduisent aujourd’hui la Commission européenne à intenter des procédures à l’égard des gouvernements de ces pays pour violation des principes démocratiques, soulignent que le chemin vers la démocratie est dans tous nos pays une longue route semée d’embûches, à consolider constamment. Ils montrent aussi que les Eglises catholiques, comme les Eglises protestantes, conservent la trace d’histoires nationales qui ne les inclinent pas nécessairement vers la démocratie. Que l’on songe par exemple à l’histoire de l’Eglise en France qui au XIXe siècle l’a opposée à la République.
Mais le nationalisme suffit il à expliquer que les Eglises catholiques polonaises et hongroises fassent apparemment corps avec des gouvernements dont les méthodes s’orientent vers celles qu’elles ont combattues ? C’est une interrogation à laquelle il serait tout à fait imprudent de répondre sans être passé par un dialogue approfondi avec les intéressés. La tâche de ce dialogue revient au premier chef à la COMECE qui consacrera une prochaine assemblée plénière, le 2 mars prochain, à tenter d’évaluer et de comprendre le sous- bassement de ces graves incidents. On ne peut que souhaiter que la COMECE sorte par le haut d’une crise qui pourrait s’avérer salutaire par exemple, si :
- Le dialogue entre les Eglises et les cultures nationales qu’elles incarnent, entre l’Ouest, l’Est, le centre et le sud de l’UE s’approfondissait. A très juste titre, le père Michael Kuhn, secrétaire général adjoint de la COMECE, exprime dans le dernier numéro d’Europe Info l’idée « qu’au cours de l’élargissement, il n’a pas été possible de prendre pleinement conscience d’une histoire commune et non partagée… Il faudra plusieurs générations pour évaluer, comprendre, reconstituer ces écarts qui se sont formés sur plus de 75 ans ».
- La COMECE pouvait aussi mettre en lumière d’un point de vue chrétien ce qui lui semble indispensable aujourd’hui pour mener à bien l’accomplissement démocratique des pays membres de l’UE, Est et Ouest confondus. Il s’agirait de mettre en évidence, au delà des exigences juridiques et constitutionnelles incontournables, ce qui découle de conditions sociales ou du fonctionnement même de l’Union européenne. Si ces conditions ou ce fonctionnement inspirent un sentiment d’injustice, il faut y prendre garde, car l’injustice donne prétexte à l’autoritarisme.
Les Semaines sociales de France sont depuis 12 ans associées au travail remarquable de la COMECE au travers de l’association IXE (initiative des chrétiens pour l’Europe) qu’elles ont fondées avec le ZDK[4], destinée à incarner une présence de laïcs chrétiens et européens dans l’ensemble des pays de l’UE[5]. L’épreuve traversés par Europe info démontre que la coopération entre les Eglises nationales, suscitée par l’existence même de l’UE , n’à pas seulement pour objet le lobbying bruxellois .Elle signifie qu’il s’agit aussi de travailler directement au rapprochement des peuples . Puissent les membres de la COMECE, où chaque Eglise nationales est représentée par un Evêque, avoir la sagesse de reconnaître dans cette modeste institution un outil de ce rapprochement.
Jérôme Vignon
Président des Semaines sociales de France