Avec la loi fin de vie, le mal mourir est il guéri?

Par Mathieu Monconduit

Alain Claeys (PS) et Jean Leonetti (LR), co rapporteurs, de la Loi dite « fin de vie »  en ont, chacun, livré leur vision avant le vote final du parlement le 27 janvier. En étant attentif aux passages mis en exergue ou au contraire omis par chacun d’eux, le citoyen peut constater les divergences qu’ils ont voulu surmonter pour que la loi soit adoptée de manière apparemment consensuelle.

L’objectif annoncé par l’un et l’autre est de « combattre le mal mourir » par l’ouverture de nouveaux droits. Tous deux privilégient l’application de la loi aux situations où le pronostic vital est engagé à court terme et retiennent la sédation profonde comme moyen à appliquer. Cependant trois points montrent les limites de ce consensus.

En premier lieu, les justifications avancées par chacun des rapporteurs ne sont pas superposables : pour Alain Claeys, la nécessaire reconnaissance de l’autonomie de l’individu, implique de « permettre à chacun de disposer de sa vie jusqu’à son ultime moment ; pouvoir décider en conscience de la façon dont il entend vivre ses derniers moments ». Jean Leonetti pour sa part, s’appuie sur les rapports Sicard et du Comité consultatif national d’éthique qui constatent que, dix ans après la loi de 2005 concernant les droits des malades, le mal mourir est encore une réalité. Il y voit une opportunité pour améliorer « sa » loi.

Les caractères de la sédation sont un deuxième point distinctif. Quand Jean Léonetti parle de sédation en phase terminale, il précise que cette sédation n’est pas à but terminal, et que la « proximité de la mort et le caractère insupportable des douleurs »  en conditionnent la mise en œuvre. Alain Clayes, lui, tient à qualifier la sédation profonde de : « continue, provoquant une altération de la conscience, maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie ». Elle peut, selon lui, être appliquée, lorsque le pronostic vital est engagé à court terme, au « malade porteur d’une affection grave et incurable qui souhaite arrêter les traitements qui le maintiennent en vie, s’exposant ainsi à une souffrance insupportable ».

Les directives anticipées et ce qu’elles peuvent traduire de la relation médecin/malade dans cette phase d’une maladie grave, sont le troisième point de divergence des deux députés. Pour Alain Clayes « l’autonomie, c’est  le renforcement du rôle des directives anticipées, et de la personne de confiance pour les malades hors d’état d’exprimer leur volonté ». En conséquences les directives anticipées « s’imposeront désormais au médecin ». Jean Léonetti, lui, après avoir précisé que « la sédation n’est pas un droit que les malades peuvent opposer de manière arbitraire au médecin », tient à rappeler que si les directives anticipées sont contraignantes, elles ne sont pas opposables. Et pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté sur sa pensée, il l’illustre par un exemple : la personne qui s’est suicidée en ayant laissé une lettre affirmant qu’elle ne veut pas être réanimée sera réanimée contre sa volonté arguant du fait que l’éthique de vulnérabilité et l’éthique d’autonomie doivent s’équilibrer.

Telles sont les bornes extrêmes de cette loi entre lesquelles devraient s’inscrire les décrets d’application. Comme l’ont  montré les deux rapporteurs, cette loi, en effet, n’éteint pas les débats. Améliorera-t-elle le « mal mourir » ? Les équipes soignantes  profiteront des  limites d’un texte laissant  une grande latitude aux pratiques, la légalité de celles-ci étant appréciée, a posteriori,  à l’aune des  « intentions » des acteurs.

A dire vrai le mal mourir interpelle les pratiques soignantes au cours des mois précédant la mort car il ne débute pas quelques heures ou jours avant le décès. Il est durement ressenti par des équipes soignantes qui ont à prendre en charge dans l’urgence un patient qu’elles ne connaissaient pas jusqu’alors ; que feront-elles d’éventuelles directives anticipées, contraignantes mais non opposables, dont elles seraient les exécutantes anonymes ? Il faut souligner que ces débats ne se posent qu’exceptionnellement – dans les termes abordés par la Loi – quand un accompagnement d’une équipe soignante disponible, formée aux soins palliatifs, est à l’œuvre avec les proches dans la durée.

Mais surtout, que seront ces nouveaux droits sans les moyens qui vont avec ? Les crédits de 190 millions d’euros, annoncés pour les trois années à venir par la ministre de la santé en faveur des soins palliatifs, soit environ 190 euros pour chaque personne en phase terminale, sont à rapprocher des 22 000 euros payés par l’Assurance Maladie pour chaque personne au cours des douze derniers mois de vie, ou des 40 000 lors du dernier mois de vie d’une personne décédant des suites d’un cancer[1].

Mathieu Monconduit, membre du conseil des SSF

[1]          Ricci P. et al, Revue d’épidémiologie et de santé publique 2013, vol 61, issue 1. Etude de la CNAMTS portant sur l’analyse des dépenses de l’Assurance Maladie pour les 361 328 personnes décédées en 2008.

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