Victimes : « histoire ancienne », pour qui ?

Par Blandine Dupont

Sous l’angle psychosocial, que peut inspirer le dépôt de plainte contre Mgr Barbarin ?

1/ Les représentations sur la violence, sur l’enfant, sur l’autorité, temporelle comme spirituelle, ont changé. L’image biblique du « pasteur avec ses brebis » a pu conduire à des abus et des trahisons. Elle doit être dépoussiérée à l’aune de nos nouveaux modes de vie car des fondamentalismes spirituels peuvent mettre le « troupeau » des baptisés en état de sidération ou de danger, si certains prennent le Peuple de Dieu pour un troupeau bêlant sans conscience.

2/ Des victimes, issues de milieu catholique, se regroupent pour des actions collectives à fort retentissement. Malgré leur éventuel isolement psychologique individuel, elles ne se sentent plus abandonnées grâce aux réseaux sociaux qui crépitent. Les premières victimes sont aussi des parents catholiques qui ont envoyé au catéchisme leurs enfants et se sont sentis abusés. La parole de toutes ces victimes fait vaciller le château de cartes. De son côté, l’évêque est à la fois soumis à une vindicte populaire par une pétition demandant sa démission, tandis qu’un réseau de fans sur Facebook le soutient. Ce virtuel inter-agit, en lien avec toutes sortes de déclarations. Il ne remplace pourtant pas la justice étatique.

3/ Après Mgr Barbarin, Mgr Pontier ou le père Lombardi ont parlé d’« histoire ancienne» pour des crimes pédophiles, en faisant référence à la prescription judiciaire. Prescription, « grâce à Dieu », a même dit Mgr Barbarin, oubliant que, grâce à l’Église, la prescription canonique ne répond pas aux mêmes critères. Pour qui des crimes pédophiles sont-ils de « l’histoire ancienne » ? Pour la justice ? Pour des évêques ? Pour tel prêtre pédophile ? Pour des victimes ? L’imprescriptibilité canonique de crimes pédophiles est-elle encore de mise ? L’histoire n’est pas ancienne pour tous. Elle est mouvementée.

4/ L’homme mis en cause est « porteur du symptôme d’un système ». A plusieurs niveaux : il a « cru » et promu un prédateur, il a également « suivi la position de ses prédécesseurs », il a fait deux poids deux mesures –estiment ses détracteurs- pour la défense des droits de l’enfant. Toute la complexité mais aussi la richesse du système ecclésial apparaissent. Ce sous-système s’inscrit dans le système français d’une société laïque où semblent s’entrechoquer souvent pouvoir temporel et pouvoir spirituel. Le premier ministre tançait vertement l’évêque. N’alimentait-il pas, avec l’évêque mis en cause, une maladie de désamour entre l’Église et l’État qui n’est pas nécessairement la nôtre ? Voulions-nous nous isoler, comme victimes d’un méchant État et promoteurs d’une Église qui, elle, serait forcément bonne, ou l’inverse ? Erreur dommageable. Le porteur du symptôme, soutenu par ses pairs jusqu’à un certain point, a alimenté de la rancœur entre leur corporation et des « fidèles ». Donneurs de leçons, certains avaient même opposé la « tolérance zéro » ecclésiale vis-à-vis de la pédophilie à une prétendue tolérance sociétale. La ministre de l’Éducation nationale a pourtant les mêmes soucis pour lutter contre la pédophilie : 27 fonctionnaires révoqués en 2015. Nous sommes donc dans la même galère : voilà en quoi le christianisme social peut faire le pont entre deux mondes.

6/ Enfin, le père Lombardi parlait de « fruits spirituels » possibles. Les lettres publiées sur le site de « la Parole libérée » ressemblent pourtant tellement à celles reçues par d’autres évêques ou envoyées à Rome, sans résultat ! La colère raisonnable de témoins et d’experts a réveillé le troupeau et ses pasteurs chloroformés. Le père Lombardi a osé aussi reprocher – de quel droit ? – à des victimes de communiquer, plutôt que de les remercier. Cette nouvelle atteinte à leur liberté, quand leur parole s’était tarie pendant des années, appelait une question : A trop se prétendre miséricordieux, en oublierait-on d’être épris de justice, fût-elle seulement ecclésiale ?

Il ne s’agit pas plus de hurler avec les loups que d’adopter le silence des agneaux. Anciens enfants, nous mêmes, nous savons qu’en libérant la cage aux oiseaux, à Lyon comme ailleurs, nous nous sentirons moins victimes de ce que nous avons laissé faire dans un sous-système qui espère être « sel de la terre ».

 

Blandine Dupont

 

6 Commentaires

  1. Jean de Bodman

    « Mis en examen »…
    Vous êtes sûre qu’il l’est?

  2. Jean-Pierre

    Je suis bien d’accord grosso modo avec tout ceci, mais il y a quelques inexactitudes qui brouillent le propos :
    « L’imprescriptibilité canonique de crimes pédophiles ». Je n’en vois pas trace dans le droit canon. Il semble au contraire que le droit canon soit très largement en retard : http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/03/25/pedophilie-le-droit-canon-est-desormais-inadapte-par-charles-condamines_1324340_3232.html
    Sur le « suivisme » de Barbarin, les propos recueillis par La Vie auprès de Régine Maire, membre du conseil épiscopal du diocèse de Lyon et chargée par le cardinal Barbarin de recevoir les victimes permettent de bien comprendre le cadre dans lequel évolue le cardinal. L’article donne en outre des précisions intéressantes sur le déroulement du processus. http://www.lavie.fr/religion/catholicisme/le-cardinal-barbarin-face-aux-victimes-d-un-pretre-pedophile-12-02-2016-70643_16.php
    Sur le point 6. Le Père Lombardi n’a pas reproché aux membres du groupe La Parole libérée de communiquer mais de demander une audience privée au pape par voie de presse. Quant aux « fruits spirituels », il s’agit de ceux occasionnés par la rencontre souhaitée avec le Pape.
    « Ce sous-système s’inscrit dans le système français d’une société laïque où semblent s’entrechoquer souvent pouvoir temporel et pouvoir spirituel ». En réalité une des questions posée par cette mise en cause n’est-elle pas là : l’Eglise est-elle un sous-système ? Se perçoit-elle comme telle ? N’a-t-elle pas tendance à se percevoir comme un système global dont l’Etat français est un cas particulier ? Un « sous-système » ?

  3. Blandine Dupont

    La Congrégation pour la Doctrine de la Foi a le droit de déroger à la prescription cas par cas, à la demande motivée de l’évêque intéressé.
    http://www.vatican.va/resources/resources_norme_fr.htlm
    Mgr Scicluna avait présenté ce droit de dérogation, après que le pape Jean Paul II ait accordé cette faculté en novembre 2002 à la Congrégation.
    En ce sens, la prescription n’est pas canoniquement définitive, puisqu’il est possible de lever la prescription canonique des 20 ans, dans certains cas.

    Communiquer par voie de presse fut pour des victimes le seul moyen d’être certains d’être lus. Pour ceux qui n’ont pas été entendus auparavant, -et c’est souvent la situation de parents de victimes ou de victimes qui se sont adressés à leur évêque- croyez-vous vraiment que les propos du père Lombardi pouvaient les satisfaire?

    Et croyez-vous qu’il soit heureux qu’ici et là fut proposé à une victime de prier avec son agresseur, sans que Justice ecclésiale soit rendue ? Le spirituel pour pratiquer l’ omerta face au temporel ? C’est ce qui est fortement reproché à ce sous-système.

    La réponse du père Lombardi a , en effet, conduit des parents à témoigner pour une autre affaire que celle de Lyon dans « la Parole libérée ». En cela, Mgr Barbarin est porteur du symptôme d’un sous-système que ces parents, restés croyants, considèrent comme gangréné. Estimer avec eux que le sous-système est gangréné est-il autorisé ?

    « Faits prescrits grâce à Dieu » ? Ou faits prescrits à cause de ceux qui auraient fait en sorte qu’ils le soient ? Là est la question.

  4. jean

    Sur cette question, tout a été dit et redit, des décisions ont été prises, diffusées… De nombreuses mises en garde… La misère des victimes et les terribles conséquences sur leur vie… ce qui est surprenant c’est l’incapacité d’entendre et d’ accepter les leçons de la vie de la plupart de nos dirigeants qu’ils soient religieux, politiques ou managers… inutile de souligner les maladresses du cardinal Barbarin, dont on ne doit pas sous estimer les immenses qualité de coeur et de miséricorde, et de son entourage mais tout de même celle du père Lombardi dont le métier est de communiquer. quant aux ratiocinations sur prescription ou pas prescription des faits, c’est oublier la dignité des malheureuses victimes. Le besoin de réconforts, de reconstruction lui ne sera jamais prescrit

  5. Blandine Dupont

    Comme tous ont pu l’apprendre par voie de presse, les faits de pédophilie reprochés au père P. ont été déclarés non prescrits par le juge d’instruction et la procédure se poursuit.

    Par ailleurs, le compte rendu intégral de la séance du jeudi 27 novembre 2014 à l’Assemblée nationale porte sur le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles.
    Il mérite vraiment d’être relu en ces circonstances.

Laisser un commentaire à Delphine Bellanger Annuler le commentaire