Synode sur la famille : la démocratie en marche

Par Jean-Pierre Rosa

Sous l’impulsion du pape François l’Église catholique a mis en route, en octobre 2013, un processus tout à fait original de consultation et d’élaboration de sa propre doctrine sur la famille. Sont en cause, essentiellement, la pastorale traditionnelle sur le mariage et la famille, la doctrine classique sur l’ « ouverture à la vie », autrement dit la contraception et l’avortement, l’accueil des divorcés-remariés et des personnes homosexuelles. Mais ce ne sont pas tant les questions examinées qui surprennent mais, encore une fois, le processus. Reprenons.

En octobre 2013, le pape François, après une première consultation des cardinaux, envoie à toutes les conférences épiscopales du monde, un document de travail présentant les principaux axes de travail et un « questionnaire » destiné aux fidèles et conçu pour estimer la réalité vécue sur le terrain. Sur la base des remontées de ce questionnaire et après avoir établi un « document de travail » en juin 2014, le Pape réunit les évêques du monde en Synode en octobre 2014 afin d’élaborer un document d’étape. Ce document, qui doit servir de base aux travaux ultérieurs est critiqué, amendé, voté. Le pape insiste pour que le nombre de voix obtenu par chaque paragraphe du document soit connu de tous. Dès octobre le texte final est établi et un nouveau questionnaire est annoncé, cette fois non pas pour dresser un état des lieux mais pour donner des pistes en vue de l’avant-dernière étape du processus qui aura lieu en octobre 2015, à Rome, où l’assemblée des évêques, se réunira une nouvelle fois. Un vote aura lieu à nouveau pour établir un texte final. C’est ce texte qui servira de base au texte élaboré par le pape François et qui pourra, ou non, tenir compte des étapes précédentes. Car la grande différence entre ce processus consultatif et un processus politiquement démocratique consiste en ce que le Pape n’est pas – normalement – tenu par la consultation qu’il a provoquée.

Ce qu’il faut considérer cependant c’est l’extraordinaire amplitude de cette élaboration. Amplitude temporelle tout d’abord : commencé en 2013, le processus s’achèvera en 2016, soit deux ans et demi de travail et d’aller-retour. Amplitude géographique ensuite : ce sont l’ensemble des catholiques du monde qui sont concernés et consultés, ce qui nous situe dans un univers où les disparités apparaissent, et pèsent. Amplitude en mobilisation enfin, et c’est sans doute ici que l’opération est la plus innovante : en quelques années, le Vatican aura adressé deux « questionnaires » aux fidèles catholiques du monde entier. Les personnes et les groupes qui se sont réunis et continuent à le faire pour se pencher sur les questions soulevées par ce synode sont innombrables. Il y en a dans les paroisses mais aussi dans les mouvements, les instituts de recherche ou de formation, les congrégations. En réalité on peine à imaginer le nombre de personnes qui, d’une manière ou d’une autre, auront contribué, de par le monde, à donner leur point de vue. Plusieurs millions sans doute. Bien sûr certains esprits chagrins diront que les questions sont orientées, que les évêques ou les curés font bien ce qu’ils veulent et ne se privent pas pour « faire passer leurs idées ». Sans doute. Mais il faut tout de même considérer que tout se sait et se débat – des centaines de livres sont parus à l’occasion et des milliers d’articles de toute tendance ont été rédigés sur ce sujet, y compris dans la grande presse non-confessionnelle.

En bref, quelque soit le résultat de ce Synode, rien ne sera plus jamais comme avant. Car en parlant et en débattant, on aura mesuré la solidité mais aussi la relativité de la doctrine reçue.

Il ne faut pas se laisser leurrer par les termes étranges – synode, instrumentum laboris, questionnaire, relatio synodi, etc – de cette consultation universelle. En réalité c’est à un processus authentiquement démocratique que l’on assiste.

Au niveau national nos débats-citoyens pourraient bien en tirer des leçons. L’Europe elle-même pourrait y puiser. Quant au niveau mondial, on peine à repérer quelle instance ou quelle organisation aurait suffisamment de liberté, de représentativité, de solidité et de hauteur pour imaginer sur un enjeu central – économie, finance, environnement par exemple – un tel processus.

Jean-Pierre Rosa, de l’équipe du blog

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