Si tu veux être libre, réponds de tes actes

Par Bernard Ibal

L’actualité regorge de revendications de libertés individuelles. Chacun d’entre nous a le sentiment de sa dignité d’être humain quand il se sent libre dans l’exercice de ses paroles et de ses actes. Chacun fait pourtant aussi l’expérience de sa soumission aux déterminismes de ses instincts et aux conditionnements relationnels, culturels et médiatiques. L’anthropologie contemporaine confirme cette aliénation : déterminismes génétiques, éducatifs, oedipiens, linguistiques, socio-économiques, hormonaux, neuronaux, etc.

Pourtant, fort heureusement , quand j’ai affaire à quelqu’un, je ne me dis pas qu’il parle et agit en fonction de ses déterminismes, je le considère comme l’auteur de ses actes et de ses paroles.  Réciproquement, les autres n’ont généralement que faire de mes déterminismes et me regardent comme quelqu’un de responsable et non comme quelque chose produit par des causes biologiques ou génétiques. J’existe libre par le comportement d’autrui à mon égard et le regard qu’il me porte.

Mais cette responsabilisation au quotidien risque fort d’être un fardeau. Les autres peuvent en effet me demander des comptes. Alors je m’esquive et plaide « les circonstances atténuantes » : au lieu d’assumer mes paroles et mes actes, je déclare que je n’y suis pour rien. C’est la faute à mon caractère, à mon enfance perturbée, à ma maladie ou à ma fatigue. Bref, je ne veux plus être quelqu’un de libre, je demande à n’être qu’une chose ou un animal déterminés.

Cependant pour sauvegarder ma dignité d’homme, je peux au contraire revendiquer la responsabilité de mes actes et demander à être reconnu comme l’auteur de ce que j’ai fait ou dit. Je vais dès lors devoir répondre de mes actes : soit je m’en excuse et peux même tenter de réparer, soit j’insiste et confirme. Attention, il n’y a là rien de banal, il s’agit d’un séisme existentiel. En effet mes actes nouveaux (excuses, réparation, confirmation…) par lesquels je réponds de mes actes passés n’ont pas d’autre cause que la revendication de ma liberté. Ces nouveaux actes sont des actes libres, ils sont une conquête de ma liberté : je me « fais » libre. Cette liberté n’est pas une illusion, elle se manifeste concrètement dans le changement de mon rapport aux autres. Conquête risquée mais épanouissante et donatrice de sens en m’exposant aux autres. Par exemple, devant les Assises l’avocat du criminel plaide les circonstances atténuantes c’est-à-dire le déterminisme psychologique ou social de son client. Mais le prisonnier politique peut revendiquer au contraire sa liberté, sa responsabilité; sa vie bascule si le jury accède à sa demande, mais il vit intensément sa liberté.

L’acte de répondre de ses actes devant autrui est l’inauguration de ma liberté. Pourtant il n’est pas indépendance à l’égard d’autrui. Il requiert bien au contraire sa transcendance. Le loup de La Fontaine considère l’agneau comme une proie, et non comme quelqu’un devant qui il doit répondre de ses actes, bref il ne perçoit pas la transcendance d’autrui. L’homme aussi est un animal prédateur mais le propre de l’homme est qu’il entend intérieurement et originellement l’appel d’une transcendance de l’Autre : Dieu. Cet appel à répondre de ses actes pour être libre s’incarne, se concrétise dans l’appel d’autrui dans les vies privée, professionnelle et politique. L’amour, la liberté, la responsabilisation se reçoivent de Dieu. Contre le fatum romain, le christianisme a découvert cette responsabilisation. Celle-ci fait de l’individu une personne qui répond de ses actes dans l’ouverture aux autres et à la société.

Bernard Ibal, vice président des SSF et président des Semaines Sociales de Toulouse

Cf. sur ce sujet, le programme de la 14ème session des Semaines sociales de Toulouse

1 Commentaire

  1. Kouassi Guy

    Après lecture de ce contenu je tiens à vous dire merci pour l’effort fournit et pour la contribution que vous offrez au public. Grâce à ce exposé j’ai une vision panoramique au sujet de la liberté et de la responsabilité étant donné que cela vient compléter la connaissance que j’avais auparavant

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