Santé et solidarité, une loi trompe l’œil 

Par Mathieu Monconduit

Les inégalités concernant l’état de santé et l’accès aux soins à l’intérieur de notre société sont censées avoir été corrigées par l’instauration de la Couverture Maladie Universelle, en 2000. Or depuis quelques années le nombre de personnes disant avoir renoncé à des soins augmente. Dans le même temps la différence d’espérance de vie selon la catégorie sociale n’a pas été réduite, atteignant 6 années chez les hommes et 3 chez les femmes, écart amplifié selon les régions.

A l’origine de ces situations les causes sont plurielles : organisationnelles, culturelles et financières. Ces dernières ont été mises en avant, motivant la mesure controversée de généralisation du tiers payant . Ceci a détourné l’attention de transformations progressives et multiples du système de santé, le rendant de moins en moins solidaire. Parmi ces transformations nous semblent en cause :

La liberté d’installation des médecins. Elle a entraîné d’importantes disparités ; la surdensité observée dans certaines régions, quand elle limite le nombre de personnes prises en charge, expose au risque de « pratiques compensatrices », notamment celles d’actes pris en charge par des médecins alors qu’ils sont réalisables par d’autres professionnels moins diplômés à moindre coût. A l’opposé, les « déserts médicaux », sont générateurs d’inégalités et ainsi de retards d’accès aux soins, avec in fine un surcoût humain et financier.

La diversité des pratiques des professionnels selon les territoires. Chaque fois qu’une enquête ciblée est menée par les services de l’Assurance maladie ( césarienne , arrêts de travail…) ou par la Cour des Comptes (transports sanitaires, soins palliatifs ) ce fait a été pointé. Certaines différences peuvent être en partie expliquées par des spécificités démographiques ou géographiques, mais elles témoignent plus souvent de dérives. Celles-ci peuvent relever de la complexité des connaissances nouvelles et des insuffisances de la formation continue ; ailleurs ce sont de « petits arrangements » dont seuls les cas les plus extrêmes seront sanctionnés. Tous sont à l’origine de dépenses indues. Mais aucune structuration d’une évaluation globale des pratiques n’existe.

Le poids de l’industrie pharmaceutique. La « liberté » de prescription est ardemment défendue mais les dépenses de promotion de l’industrie pharmaceutique auprès des médecins étaient estimées , en 2004, à 2,8 milliards d’euros par l’IGAS, qui montrait dans un rapport conséquent les limites de cette liberté par rapport à l’industrie pharmaceutique. Mais il y a quelques effets collatéraux, aggravés par l’insuffisance de formation :

   – d’abord une inflation des spécialités disponibles et une consommation élevée de médicaments avec un montant moyen de la dépense par habitant qui nous place au 1° rang à 130 euros, le 2° du classement étant à 98…avec de nombreuses dérives par rapport aux recommandations internationales

   – mais aussi une iatrogénie, liée aux surdosages, aux interactions médicamenteuses, dont le risque croit avec la longueur de l’ordonnance et l’âge du patient, à l’origine d’une mortalité estimée entre15 et 30 000 décès par an et d’environ 1,3 million de journées d’hospitalisation, générant un coût estimé à 10 milliards d’euros/an.

A ces exemples d’autres pourraient être ajoutés, tels les effets financiers de la non coordination entre ville et hôpital, ou ceux des recours inappropriés aux urgences hospitalières.

Tous ces éléments ont pour effet d’accroitre les charges financières du système de soins, ce qui a justifié des mesures de maitrise des dépenses de santé : franchises, déremboursement de médicaments ou de dispositifs médicaux. Leur application uniforme, au nom de l’égalité, retentit surtout sur les budgets des foyers les plus modestes ou sur ceux des personnes porteuses de maladies chroniques. Espérant limiter ces effets il est fait appel, depuis dix ans, aux assurances complémentaires. L’ Assurance maladie réduisant le périmètre assuré, le marché assurantiel s’est développé ( près de 600 organismes…en concurrence) . Ainsi, au principe fondateur de l’Assurance maladie « contribution selon les moyens et prestations selon les  besoins » est progressivement substitué celui des assurances et mutuelles «  libre cotisation mais prestations dépendantes des cotisations ». L’accès à ces complémentaires bénéficie surtout aux personnes déjà bien protégées (contrats de groupe discutés par les entreprises…), tandis que les foyers les moins dotés, malgré les aides , soit y renoncent, soit n’accèdent qu’à des garanties limitées . Mais la solvabilité globale étant ainsi augmentée, sans responsabilisation particulière ni des offreurs de soins ni des assurés, les demandes de dépassements d’honoraires augmentent, poussant au clivage d’une offre de soins et d’un accès à celle-ci, en fonction des moyens et non des besoins.

Les dérives du fonctionnement du système de santé, avec des Assurances compensatoires qui ne font que les solvabiliser, dés aujourd’hui retentissent sur l’accès aux soins des personnes les plus faibles. Demain elles seront supportées par nos enfants et petits enfants, du fait de dépenses qui restent chaque année supérieures aux ressources, compensées par quelques milliards empruntés chaque année (57 sur les 7 dernières années). Le système n’est plus solidaire et ce constat contribue au malaise des professionnels dont la très grande majorité s’est engagée dans un des métiers de la santé par souci de ses semblables. Mais de cela la Loi Santé n’a pas parlé et c’est dans l’indifférence que la solidarité intra – et intergénérationnelle s’estompe.

Mathieu Monconduit, membre du conseil des Semaines sociales de France

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