Tous les mois, retrouvez Pierre-Yves Stucki et sa chronique sur la pensée sociale chrétienne et l’actualité, au micro de Paul Keil sur RCF Jerico Moselle.
Chronique du 20 octobre 2017.
Depuis que le président Macron a confirmé la suppression de l’Impôt de solidarité sur la fortune, on a beaucoup reparlé de la « théorie du ruissellement ». Cette théorie, appliquée notamment par l’administration Reagan au début des années 80, entend provoquer une relance de la croissance en allégeant la fiscalité imposée aux plus hauts revenus. L’argent ainsi rendu aux plus riches est censé, par la consommation ou l’investissement, redescendre progressivement – comme un ruissellement – à travers tout le système économique, pour finalement profiter à tous.
Cela revient quand même, peu ou prou, à affirmer qu’il faut laisser les riches être plus riches pour que les pauvres soient moins pauvres, ce qui ne tombe pas sous le sens. D’ailleurs les faits, 40 ans plus tard, correspondent plutôt à la formule de Louis de Funès dans La Folie des grandeurs :
Aux États-Unis comme ailleurs, les inégalités sociales n’ont fait que s’accentuer. Cela faisait dire au pape François en 2013, dans Evangelii Gaudium : « Certains défendent encore les théories de la “rechute favorable”. […] Cette opinion, qui n’a jamais été confirmée par les faits, exprime une confiance grossière et naïve dans la bonté de ceux qui détiennent le pouvoir économique et dans les mécanismes sacralisés du système économique dominant. En même temps, les exclus continuent à attendre. » Le jugement est sans appel.
Il faut toutefois noter que l’exécutif français se garde bien d’invoquer le ruissellement. Le Président parle plutôt d’une volonté de « réorienter l’épargne ». Après tout, éviter l’accumulation d’une épargne dormante et favoriser son réinvestissement actif dans l’économie n’est pas une mauvaise chose. La pensée chrétienne n’a d’ailleurs jamais encouragé la thésaurisation ni la spéculation financière. En 1951, le pape Pie XII se désolait : « Que de capitaux se perdent dans le gaspillage, dans le luxe, dans l’égoïste et fastidieuse jouissance ou s’accumulent et dorment sans profit ! ». Son prédécesseur Pie XI jugeait dans Quadragesimo Anno que « celui qui consacre les ressources plus larges dont il dispose à développer une industrie, source abondante de travail rémunérateur […] pratique d’une manière remarquable […] la vertu de magnificence ».
On ne peut donc pas reprocher au Président la volonté de favoriser le réinvestissement du capital pour développer de nouvelles activités. Cependant, il reste quand même plusieurs problèmes avec cette réforme de l’ISF, telle qu’elle est proposée.
- Tout d’abord, le nouvel impôt sur la fortune immobilière qui va la remplacer, ne correspond pas tout à fait à l’objectif annoncé. Seuls les biens immobiliers entreraient dans le patrimoine taxable. Certains placements seront donc exonérés qui ne financeront pas pour autant l’économie, tels les SICAV monétaires. C’est ce qu’ont compris les députés MoDem, pourtant alliés de la majorité, et qui tentent, sans grand succès pour l’heure, d’infléchir la position de l’exécutif.
- Ensuite, le Ministre de l’économie Bruno Le Maire place cette réforme sous le signe d’un renversement du rapport entre le travail et le capital. Il est en effet persuadé qu’il faut taxer davantage les revenus du travail que ceux du capital pour relancer l’économie, et soutient que c’est « la seule politique qui n’a pas été essayée en France ». Malheureusement, là où elle a été appliquée, elle n’a pas fait ses preuves, si bien que même le très libéral Fonds Monétaire International dit désormais le contraire : le FMI recommande explicitement d’augmenter les impôts sur les plus hauts revenus et éventuellement sur le capital pour réduire les inégalités et relancer l’économie. Le rapport entre travail et capital est un point important pour la pensée sociale chrétienne qui a toujours refusé d’opposer les deux, mais affirme, notamment depuis Jean-Paul II, la primauté du travail sur le capital.
- Enfin, Bruno Le Maire a beaucoup insisté sur sa volonté d’éliminer le « fléchage », p.ex. le dispositif qui privilégiait l’investissement dans les PME. Ce qui est en jeu, ici, ce n’est pas seulement une simplification administrative. C’est l’idée que pour assurer la redistribution, il faut éviter les organisations par lesquelles l’État peut orienter le développement économique, et qu’il convient plutôt de laisser faire le libre jeu du marché. C’est en réalité, la même inspiration que dans la théorie du ruissellement. Et la critique d’Evangelii Gaudium reste valable. Rien ne permet de croire que la circulation spontanée de cet argent libéré va naturellement s’ordonner en vue « d’accorder une sollicitude particulière aux pauvres ».
À ce compte-là, autant croire au Père Noël. Au moins lui, il distribue à tout le monde…
Un point d’information sur les inégalités: elles augmentent peut-être dans les pays de l’OCDE, mais ce n’est pas le cas en France comme le montre l’indicateur d’inégalités de revenus le plus courant , celui de GINI.
Cf https://www.insee.fr/fr/statistiques/3137028
L’indice de Gini a en effet légèrement diminué en France en 2016. Mais il avait augmenté en 2015 et globalement il est, en France, en hausse significative depuis les années 2000 – après, il est vrai, une période de baisse importante depuis les années 1970.
Il est intéressant, justement, de se demander pourquoi cet indice diminuait en France alors qu’aux Etats-Unis et en Angleterre, pour ne prendre que deux exemples flagrants, l’indice grimpait en flèche dans les années 1980, justement au moment où Reagan et Thatcher appliquaient leur programme libéral.
J’ai du mal à comprendre pourquoi l’on s’acharne sur un impôt que tous les Etats de l’UE ont abandonné. Il nous faut une convergence économique et fiscale en Europe. Faire le premier pas en ce sens en abandonnant un impôt désuet me semble logique.
C’était une promesse de campagne du Président. Il la tient. Il ne peut surprendre personne sur ce point. En réalité la convergence économique et fiscale est le levier de protection le plus puissant contre les effets délétères de la mondialisation et de la dérégulation. Car c’est l’Europe qui est le bon niveau pour contrecarrer la pression des Gafa et autres fonds de pension qui pratiquent allègrement l’optimisation fiscale.
Invoquer la théorie du ruissellement, abandonnée depuis longtemps par tout le monde, sauf peut-être par Bruno Le Maire, pour parler de l’ISF ne me semble pas non plus sérieux dans un pays où la pression fiscale est la plus forte du monde (et la redistribution aussi).
Et appeler à la rescousse du raisonnement la « doctrine sociale de l’Eglise » en cette matière me semble particulièrement bizarre car jamais la DSE ne parle de l’impôt sinon pour dire qu’il faut s’en acquitter.
Techniquement je suis d’accord sur les Sicav monétaires mais pour le reste, je tire mon chapeau à Macron qui a pris les rennes d’une vraie politique européenne. Tirer à boulets rouges sur son équipe me semble manquer de sens historique. Récemment, Jürgen Habermas a consacré une longue interview au nouvel obs sur ce sujet. Bien sûr, il n’adoube pas pour autant Macron, mais il vaut la peine de la lire avant d’enfourcher nos éternels refrains franco-français.
Bien sûr, il ne s’agit pas de lui donner un blanc-seing mais à mon avis le bon réflexe consiste, non à prendre à témoin la DSE – qui n’en peut mais – mais à recadrer toujours son action dans l’univers européen. La prochaine session s’intéresse à l’Europe. Les SSF ont un tropisme européen puissant. C’est de ce côté qu’il faut regarder. En gardant présent à l’esprit, bien sûr, comme horizon de l’horizon, la justice.