Par Catherine Belzung
Cette semaine a été particulièrement mortifère avec la succession d’attentats d’abord dans une salle de concert à Manchester (le 22 mai, 22 morts), puis contre des coptes dans la province d’al-Minya en Egypte (le 26 mai, 29 morts) et enfin en Afghanistan (le 27 mai, 18 morts). Comment de tels actes, au cours desquels des enfants et des adolescents ont été visés, sont-ils possibles ? Les terroristes sont-ils des monstres sanguinaires, et donc inhumains ? Ce qui étonne encore davantage est le constat de plus en plus fréquent que les auteurs de ces actes ont grandi dans des familles normales, ont été aimés, choyés, ont eu une scolarité qui ne prédisait en rien le parcours terroriste. Alors, pour mieux comprendre, existe-t-il des données scientifiques qui auraient analysé la personnalité de ces djihadistes ?
Une étude très intéressante a été publiée dans le très prestigieux journal Nature Human Behaviour du 26 mai 2017. Elle a étudié la cognition de 66 terroristes paramilitaires colombiens (chacun d’entre eux avait en moyenne 33 victimes à son actif) en la comparant à celle de personnes normales. Ils trouvèrent que le quotient intellectuel et les facultés cognitives supérieures (planification de l’action, flexibilité mentale) des personnes terroristes étaient normaux. Par contre, leurs scores d’agressivité étaient plus élevées et leur capacité à reconnaître les émotions chez autrui plus faible (ce qui altère la capacité à être touché par la détresse d’autrui). Mais la découverte majeure de cette publication concernait le jugement moral. Le jugement moral se base sur deux facteurs : l’évaluation des conséquences de l’action, et l’évaluation des intentions de l’auteur. En général, les adultes jugent une action avant tout en se basant sur l’intention. Par exemple, si je marche sur le pied de quelqu’un par erreur, un adulte va estimer que ce qui compte n’est pas la conséquence de l’action (je lui ai fait mal) mais l’intention (je ne voulais pas faire mal). Par contre, chez les terroristes, le phénomène opposé a été observé : ils estimaient que le plus important était la conséquence de l’action. Cela correspond globalement à l’idée que la fin justifie les moyens. Ce type de jugement moral est généralement observé chez les jeunes enfants et chez certains patients neurologiques, ayant des déficits des zones fronto-temporales du cerveau.
Bien entendu, cette altération du jugement moral n’est pas suffisante à expliquer leur orientation vers les actes terroristes, car d’autres anomalies, comme les facteurs facilitant la radicalisation ou leur motivation, interviennent également, bien en amont du passage à l’acte terroriste. Dans un livre, le Prof Andre Silke, qui dirige les études sur le terrorisme à l’Université de East London, a montré que l’une des motivations les plus puissantes de ces personnes était leur désir de venir en aide aux membres de leur groupe d’appartenance (c’est à dire celles de leur organisation terroriste). En effet, la radicalisation se base sur deux volets : une radicalisation idéologique, et une radicalisation relationnelle. Pour le Prof Silke, ce volet relationnel est plus important que le volet idéologique dans la motivation de ces personnes.
Nous voici donc avec deux sources pour expliquer le phénomène terroriste : une motivation « empathique » (mal orientée) et un jugement moral altéré. Mais en quoi ces travaux peuvent-ils nous aider à contrecarrer ce phénomène ? Car comprendre est un premier pas, mais ce qu’on espère davantage encore c’est de trouver des solutions pour empêcher la radicalisation et le passage à l’action terroriste. Dans une interview au journal britannique The Guardian, le Prof Silke propose que cibler cette motivation « empathique» serait l’une des clefs pour lutter contre la radicalisation, bien plus que de cibler la radicalisation idéologique. Autrement dit, il faut viser cet ancrage relationnel, plutôt que de produire des discours visant à mettre à doute l’idéologie djihadiste. Une autre facette serait sans doute aussi d’essayer de trouver des techniques permettant d’améliorer le jugement moral de ces personnes, en les accompagnant bien davantage que cela n’est fait aujourd’hui. Car il est évident que le jugement moral se construit en chacun de nous, en particulier par le dialogue et les échanges avec des personnes différentes de nous. Il faut donc changer de regard, de perspective. Bien sûr, rien de cela n’effacera la peine de ceux qui ont été touchés par ces terribles attentats. Néanmoins, jeter sur l’autre un regard déshumanisant ne conduira qu’à le déshumaniser davantage.
Catherine Belzung, membre du Conseil des Semaines Sociales