Par Jean-Pierre Rosa
Dans une tribune publiée par le journal La Croix ce 8 janvier, Jérôme Vignon, président des Semaines sociales, évalue la crise actuelle du politique non pas comme une crise d’ordre économique, stratégique, idéologique, ni même morale, pas davantage comme la crise d’une élite coupée du peuple, mais bien comme une crise spirituelle.
C’est ainsi qu’il explique la « sidération » de notre société devant des événements pourtant prévisibles : les attentats terroristes du 7 janvier 2015 et la victoire du FN aux élections régionales de décembre 2015. « En expulsant dans la sphère privée ou en jetant l’opprobre sur ce qui relève du religieux et plus largement de la transcendance, cette doxa (médiatico-politique) ignore l’épaisseur des réalités humaines. Elle s’interdit de comprendre comment un déni de reconnaissance, tout autre chose que l’accès aux droits, peut entraîner le mépris de soi et des autres au point de conduire à une violence radicale. En se fermant aux récits symboliques, elle ne comprend pas davantage pourquoi une fraction notable des électeurs choisit d’entrer en sécession : non par perte de repères, mais parce que les permanences morales auxquelles encore ils tiennent, ce qu’on peut nommer des valeurs, ne semblent plus trouver d’écho dans les hautes sphères de la politique. »
Le président des Semaines sociales en appelle donc logiquement à ce que « la société civile, y compris les Églises et les religions » joue dans l’issue de cette crise un rôle essentiel. Certes, mais comment donc en est-on arrivé à cette impasse ? Pourquoi le pouvoir se raidit-il de plus en plus sur une laïcité ombrageuse, intolérante au fait religieux ?
Peut-être tout simplement parce que, par manque de culture ou d’approfondissement du fait religieux, les « laïques » se trompent de combat et d’époque. Au 19° siècle, la France baignait dans la religion chrétienne. Et l’Église de son côté, se sentait une absolue légitimité à régenter la vie sociale – et politique. Le combat contre la main mise de l’Église fut long, difficile, semé d’embûches.
Certains sont tentés par la comparaison et s’imaginent qu’il faut résister à la main-mise musulmane comme l’État a fait reculer jadis la main-mise catholique. Mais c’est une vue de l’esprit et une lourde erreur d’appréciation. D’un côté la modernité a fait du chemin, ce qui interdit tout bégaiement de l’histoire et de l’autre l’islam n’est pas le catholicisme. Il va donc falloir, comme le propose Pierre Manent, refonder notre laïcité en tenant compte des temps nouveaux et de la nouveauté du partenaire.
Bien plus : il va falloir aussi repenser l’ensemble de l’articulation laïque qui fut pensée pour une autre époque. Mais où trouverons-nous les modèles pour cette refondation ? Et où la connaissance ?
Les modèles sont en train de naître timidement, à la base, dans les villes où se noue un dialogue fécond parce que concret entre religieux et institutions. C’est sur eux qu’il faudra s’appuyer. Quant à la connaissance, sans doute faut-il prendre exemple sur le trésor que représente, en France même, l’éducation nationale, et plus particulièrement l’université en pays d’Alsace-Moselle. La théologie – protestante et catholique – y est enseignée au sein du département de sciences humaines. Là où la séparation stricte n’a pas agi, une culture humaniste, faisant droit à la dimension religieuse, a perduré.
Jean-Pierre Rosa, de l’équipe du blog
Et on peut peut-être ajouter ce qu’écrit le psychologue Benoît Chaland dans un journal, ce mercredi 13 janvier 2016, en évoquant la suite des attentats :
« Cet élan émotionnel souligne aujourd’hui, à quel point les hommes sont capables de se rassembler autour de mêmes valeurs humanistes. Celles-ci ne sont pas d’emblée réfléchies. Elles s’expriment d’abord sur un plan émotionnel avant de se structurer dans un langage commun. »
Penser des modèles certes, mais ressentir d’abord à partir d’aspirations communes.