Par Jean-Pierre Rosa
C’est vraiment triste à dire mais on a un peu l’impression que le grand oublié de toute cette affaire est Vincent Lambert lui-même, maintenu en vie puis « engagé dans un processus de fin de vie », puis à nouveau maintenu en vie au gré des jugements, des recours, des appels. Un otage en quelque sorte. Mais qui sont réellement les « proches » de Vincent Lambert que l’on invoque ? Ceux que visent la loi Leonetti tant de fois invoquée ? Sa femme ? Sa mère ? Sa sœur et ses frères ? Alors que notre droit se révèle de plus en plus précis, voire pointilleux, sur les liens familiaux et leur nature en privilégiant le lien parental sur le lien conjugal selon une pratique de plus en plus courante nourrie par une idéologie de plus en plus prégnante, nous voici devant un cas où nous nageons dans la plus grande opacité. Qui peut revendiquer une proximité telle avec Vincent Lambert, une aide quotidienne, un soin de tous les jours, qu’il peut, sans outrepasser les liens du sang ou de l’alliance, dire qu’il est le « proche » de Vincent Lambert ? Sa femme sans doute, mais sa mère ? ses frères et sœurs ? son neveu ? Ne sommes-nous pas au fond devant la fameuse question – qui est mon prochain ? – posée par un docteur de la Loi (déjà!) à Jésus et qui nous vaut la parabole du bon samaritain (Lc 10, 25-37) ?
Comme on nous promet une procédure longue devant la Cour européenne des droits de l’homme, il y a fort à parier que les proches de Vincent Lambert seront, tout simplement, de gré ou de force, le personnel hospitalier de l’établissement qui aura la lourde tâche de le maintenir en vie jusqu’au prochain jugement qui ordonnera… que l’on continue ou que l’on arrête !
Bref, toute cette affaire nous met face à quelques questions fondamentales : tout d’abord qui est « le proche » de la personne en fin de vie ? Qu’en est-il de la « famille » ? Ensuite qui a le droit moral de recourir ainsi sans fin à la loi sans limite de temps au mépris de la vie et de la mort de Vincent ? Ne sommes-nous pas devant une forme d’ « acharnement juridique » dont devraient avoir à rendre compte ceux qui, à tort, l’exercent ? Comment retrouver l’esprit de Salomon qui juge sur le cœur, sur l’intention et non sur les critères ?
Bien sûr, il faut des critères, et des lois et des juges. Mais qui, pendant ce temps, s’occupe de la vie artificiellement continuée de Vincent Lambert ?
Jean-Pierre Rosa, Semaines Sociales de France, coordinateur de la Tribune des Semaines Sociales
Bonjour, quelques précisions de vocabulaire concernant cet article :
1. cette personne n’est pas – selon les dires même de son médecin – « en fin de vie » (sauf depuis la menace d’arrêt de son alimentation par le conseil d’état)
2. vous parlez de « la lourde tâche de le maintenir en vie ». Il s’agit en fait de l’hydrater et le nourrir. Ce qui est une tâche importante en effet, comme pour les soignats proches de nombreuses personnes qui ne peuvent se nourrir seules.
Merci de faire attention à la façon dont on présente la réalité.
je réagis à ce commentaire…outre que brancher la poche de nutrition sur la sonde gastrique (geste assez simple et rapide) il y a tous les soins de « nursing » …toilette, prévention d’escarres, massages, mobilisation des membres, changements de position, soins de bouche etc.. nuits et jours.c’est cela la réalité!
Merci d’évoquer cette question qui m’interpelle depuis longtemps dans cette affaire… Les Écritures disent : l’homme quittera son père et sa mère… Pourquoi une telle importance donnée juridiquement à la mère d’un homme marié ?
En réponse à Cedemous : la question n’est effectivement pas tranchée par la loi Leonetti qui parle, indistinctement de « la famille ». On ne peut pas être moins précis. Les cas où une maladie mortelle touchant un des membres d’une famille révèle et ravive de vieilles dissensions ne sont pas rares. Et les médecins sont alors bien embarrassés. C’est pourquoi on pourrait tenir compte de la façon dont « la famille » – ou bien tel ou tel de ses membres – s’est effectivement occupée du malade ou du mourant. Dans le cas précis, la famille « proche » s’avère être plutôt la femme que la mère de Vincent Lambert.