Par Jean-Pierre Rosa
On critique volontiers la culture du conflit qui serait le fait de notre histoire syndicale française. Cela n’est sans doute pas totalement faux, l’extraordinaire conflit issu de la loi El-Khomri en fait aujourd’hui la preuve.
Pourtant un des buts avérés de la loi Travail est bien de « donner au dialogue social une place beaucoup plus importante dans la définition des règles sociales pour que le pays passe enfin d’une culture de l’affrontement à une culture du compromis et de la négociation. »1
On sait le sort qui a été fait à ce que l’on a alors appelé une « inversion de la hiérarchie des normes », c’est-à-dire au fait que la loi ne constitue plus le recours le plus favorable en cas de conflit entre elle et la réglementation ou quelque accord que ce soit. Une sorte de subsidiarité de la règle à la loi et de celle-ci à la Constitution.
En réalité on tourne un peu en rond dans toute cette histoire. D’un côté le gouvernement, persuadé d’agir pour « libérer la croissance », veut promouvoir le dialogue social, assouplir les règles, ne pas tout gérer par la loi. Et de l’autre les syndicats – la CGT en fait – cherchent à abriter l’employé sous le rempart de la loi afin de le sauvegarder de la négociation d’entreprise, souvent asymétrique.
Promouvoir le dialogue social n’est pas une lubie ou une idée perverse née dans la tête d’un gouvernement vendu au grand capital. Assainir la situation des salariés et des employés en permettant à la confrontation sociale de devenir « dialogue », négociation, contractualisation est une idée juste humainement et sans doute fructueuse économiquement.
Mais pour qu’il y ait dialogue, il faut qu’il y ait non seulement des institutions ad hoc ou des obligations annualisées mais aussi des interlocuteurs reconnus, capables et indépendants. Et pour que quelqu’un soit capable de négocier, il faut non seulement l’élire mais aussi lui octroyer du temps et des moyens. En gros le payer. Or pour l’instant, ce sont les employeurs qui sont tenus, d’une manière ou d’une autre, d’aménager temps de délégation et locaux divers pour permettre au négociateur syndiqué de remplir sa tâche. Être payé par son adversaire naturel dans la négociation n’est pas la meilleure des situations pour négocier ! N’est-il pas possible de créer une charge sociale-syndicale versée par l’employé à son délégué afin de remplacer – ou plutôt de compléter – cette charge qui est pour l’instant assumée par le seul employeur ? Les employés seraient alors beaucoup plus enclins à vérifier que leur délégué réalise bien sa tache et fait ce pourquoi il est élu … et payé.
Quant à situer la négociation, notamment sur le temps de travail, « au plus près des réalités du terrain », dans l’entreprise donc, il n’est pas sûr que ce soit la meilleure idée qui soit. Non pas en raison de cette fameuse mais très abstraite « inversion de la hiérarchie des normes », mais tout simplement parce que l’indépendance nécessaire à toute bonne négociation n’est absolument pas garantie, ni du côté de l’employeur, ni du côté des employés. On ne négocie bien qu’à trois. Ou, pour le dire autrement, toute négociation a besoin, surtout lorsque les intérêts divergent, ce qui est souvent le cas, d’un médiateur. Pourtant l’entreprise est la première concernée. Vouloir qu’elle détermine elle-même son tempo n’est évidemment pas absurde. Que faire alors pour conserver négociation d’entreprise et médiation ? Ne faudrait-il pas que tout accord d’entreprise soit avalisé au niveau de la branche, par un mécanisme de consultation-décision, avant d’être mise en application ?
Par Jean-Pierre Rosa, membre des SSF