Par Dominique Quino
« Le conflit ne peut être ignoré ou dissimulé. Il doit être assumé. Mais si nous restons prisonniers en lui, nous perdons la perspective, les horizons se limitent et la réalité même reste fragmentée. Quand nous nous arrêtons à une situation de conflit, nous perdons le sens de l’unité profonde de la réalité ».
Dans son exhortation apostolique, Evangelii Gaudium, le pape François revient sur les principes de l’enseignement de l’Église catholique visant à promouvoir le bien commun et la paix sociale. Pas question pour lui de nier la nécessité de s’opposer à des situations économiques et sociales qui seraient imposées par une minorité possédante à une majorité de travailleurs. Mais pour lui, l’unité et la solidarité demeurent supérieures au conflit. Il plébiscite « une culture qui « privilégie le dialogue comme forme de rencontre », qui projette « la recherche d’un consensus et d’accords, mais sans la séparer de la préoccupation d’une société juste. »
On en est loin aujourd’hui, en France. Ne sommes-nous pas prisonniers d’un conflit social dont nous perdons de vue et l’objet et les enjeux ? Chaque acteur semble englué dans une posture à laquelle il ne veut ou ne peut renoncer. L’Euro de foot commence. La compétition, agitée comme un chiffon rouge, chacun espérant que cette date fatidique obligerait l’autre partie à bouger, va-t-elle accélérer une sortie de crise ? En tout cas, l’idée d’un « dialogue comme forme de rencontre » paraît une douce utopie.
Car un tel dialogue, pour être fructueux, doit être « sincère ». L’est-il, alors que chaque camp, au-delà de la raison officielle du mouvement (l’opposition à la loi El Khomry qui vise à réformer le code du travail), joue plusieurs cartes à la fois ? Tous ont en tête l’échéance de l’élection présidentielle de 2017. Le gouvernement veut afficher son autorité et ne pas laisser occulter les modestes premiers signes d’une amélioration de la situation économique. Ceux des syndicats qui durcissent le mouvement refusent le tournant social-démocrate pris par le gouvernement ; ils savent bien, en outre, qu’une alternance de droite ne favoriserait guère leurs revendications. Le patronat, dans ses instances officielles, hausse le ton et n’hésite pas à mettre de l’huile sur le feu. Les propos des uns, les actes des autres (l’usage du 49-3 ou la prise en otage des journaux nationaux par la CGT) durcissent le climat.
Tout n’aura pas été fait, lors de l’élaboration du texte controversé, pour consulter, expliquer, convaincre, notamment, de l’intérêt de renvoyer les négociations, jusqu’ici menées au niveau des branches, dans les entreprises : c’est le point le plus contesté de la loi, que l’on appelle « l’inversion des normes », selon un langage technocratique qui dit si mal qu’il s’agit de relations de travail. Oui, au plus près du terrain, on peut penser que les syndicats sauront mieux apprécier les opportunités et les risques d’un accord. Certains syndicats, dits réformistes, en font le pari. Les patrons en joueront-ils pour imposer des solutions défavorables à leurs salariés? L’emploi sera-t-il le gagnant de ces réformes, puisque tel en est – au bout du compte – l’enjeu ? Les réponses ne sont pas écrites, suscitant l’inquiétude.
Dans les relations sociales, comme dans la société tout entière, la confiance fait défaut, telle est la clé de cet enfermement tellement français. Elle serait pourtant la condition nécessaire d’un « dialogue comme rencontre ». Personne ne devrait sortir d’un tel conflit, humilié et la rage au cœur. Quelle qu’en soit l’issue, ce ne sera pas le cas. Un consensus, un accord n’est ni gagnant ni perdant. Avec ses imperfections, il est supérieur au conflit.
Dominique Quinio, présidente des Semaines sociales de France