PMA : la convergence des luttes

Tous les mois, retrouvez Pierre-Yves Stucki et sa chronique sur la pensée sociale et l’actualité, au micro de Paul Keil sur RCF Jerico.

À partir de la chronique du 22 septembre 2017.

 

La nouvelle année s’annonce très intense et les sujets ne manqueront certainement pas où « le trésor le mieux gardé de l’Église », sa doctrine sociale, pourra aider au discernement. Parmi les dossiers de cette rentrée, il y a l’annonce par la Secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Mme Schiapppa, de l’extension de la procréation médicalement assistée à toutes les femmes, et donc en particulier aux femmes seules ou en couple homosexuel.

On peut se demander s’il est vraiment judicieux pour Emmanuel Macron de faire la même erreur que son prédécesseur se précipitant en début de mandat sur un sujet sociétal polémique qui a profondément divisé la société, avant même d’avoir prouvé sa réussite face aux défis économiques, sociaux et environnementaux sur lesquels il était attendu.

Surtout qu’autant en 2013 le gouvernement avait cru pouvoir réduire les opposants à la Loi Taubira à une frange de catholiques réactionnaires pour passer outre, autant cette année, c’est une configuration très différente qui se présente.

Il s’est en effet produit une chose tout à fait inattendue : Charlie Hebdo, le journal le moins suspect de bigoterie qui soit, a publié un éditorial qui prend une position ferme contre l’extension de la PMA avec une argumentation très proche de celle que développe l’Église depuis des années !

La PMA, écrit Gérard Biard, « ne sera plus seulement une solution thérapeutique offerte en cas d’infertilité ou de problèmes physiologiques empêchant une procréation naturelle, mais deviendra un droit ouvert à une catégorie de citoyens », un droit qui crée dès lors une inégalité avec les couples homosexuels masculins et justifie l’étape suivante : la gestation pour autrui. « La procréation n’est pas un droit mais une fonction biologique. L’exiger pour tous au nom de la justice sociale comme le revendique Marlène Schiappa est parfaitement absurde. Sauf à considérer qu’il y a un droit à l’enfant – ou plutôt un droit à produire un enfant – et que l’on veut absolument, quel qu’en soit le prix, promouvoir une société où un gosse, c’est comme une Rolex, si on n’en a pas un à 40 ans, c’est qu’on a raté sa vie ».

Si cet éditorial peut surprendre de la part de l’hebdomadaire satirique, il ne fait que se joindre à d’autres voix qui, depuis plusieurs années déjà, dans le camp qui se qualifie de « progressiste », dénoncent ces dérives. Je pense en particulier à Sylviane Agacinski.

Dans le même numéro de Charlie Hebdo, le professeur Jacques Testart, biologiste qui a permis la naissance du premier bébé éprouvette, va jusqu’à dire que « tout ça concourt à préparer une véritable révolution dans l’espèce, où on fabriquera, au sens industriel du terme, des bébés. »

Je voudrais m’arrêter sur cette dernière argumentation. Au-delà des objections bien connues contre la transformation de tout désir en exigence, contre la création d’un « droit à l’enfant », apparaît ici une réflexion importante sur la place de la technique dans notre société.

C’est précisément le sujet d’un entretien accordé par José Bové à la revue Limite. Sous le titre « la PMA, c’est la boîte de Pandore : eugénisme et homme augmenté », le député européen évoque l’influence de Jacques Ellul et sa critique de la société technicienne, qui fonde son rejet de la PMA et de la GPA : « Avec ça, l’événement de la naissance, qui est un événement biologique, aléatoire, devient organisé et géré dans un objectif très particulier. Ces méthodes créent quelque chose de complètement artificiel et programmé alors que la richesse du vivant est du côté de l’improbable. »

Cette critique de l’emprise de la technique sur notre vie rejoint très exactement l’analyse du pape François dans Laudato Si. Dans cette encyclique, qui est vraiment l’un des très grands textes de la doctrine sociale de l’Église, François désigne le paradigme technocratique comme la « racine humaine de la crise écologique » : « à l’origine de beaucoup de difficultés du monde actuel, il y a avant tout la tendance, pas toujours consciente, à faire de la méthodologie et des objectifs de la techno-science un paradigme de compréhension qui conditionne la vie des personnes et le fonctionnement de la société. […] Le paradigme technocratique est devenu tellement dominant qu’il est très difficile de faire abstraction de ses ressources, et il est encore plus difficile de les utiliser sans être dominé par leur logique ».

Cette convergence des critiques contre l’extension de la PMA – et, en ligne de mire, la GPA – est, objectivement, une bonne nouvelle. Elle illustre la vocation universelle de la doctrine sociale de l’Église, qui n’est pas la chasse gardée des chrétiens, mais au contraire une richesse à partager, qui peut influencer le monde et qui elle-même s’affine et se reformule en fonction des nouvelles questions sociales.

Peut-être est-il permis de voir un premier effet de cette convergence dans la reculade, encore timide, du gouvernement. Gérard Collomb, un poids lourd de l’équipe, n’a pas caché sa réserve et si Marlène Schiappa n’est pas encore revenue sur ses engagements, elle a déjà commencé à modérer son discours. Mais ne nous y trompons pas : le combat ne fait que commencer.

 

 

(illustration : photo Ekem,
domaine public)

1 Commentaire

  1. Jean-Pierre Rosa

    Dans l’argumentation classique de l’Eglise catholique, il convient tout de même de faire le tri. Ainsi l’IAC (insémination avec conjoint) semble à beaucoup tout à fait licite contrairement à ce qu’en dit l’Eglise. A nous donc, Semaines sociales et chrétiens divers, de faire en sorte que le discours classique de l’Eglise évolue sur ce point faute de devenir totalement inaudible sur le reste.

    Car ne nous y trompons pas : c’est à partir d’autres bases et en partant de présupposés différents que Gérard Biard en arrive à la condamnation de l’ouverture de la PMA à toutes. Lorsqu’il parle de s’offrir un enfant « comme une rolex » il vise en fait la divergence de culture et, surtout, de revenus qui permettent une telle « ouverture ». Car les seules « gagnantes » dans l’affaire seront toujours, d’une manière ou d’une autre, les riches.

    Quant à l’argumentation anti-technicienne, si elle a une figure éponyme de premier plan en la personne de Jacques Ellul, elle manifeste tout de même souvent un pessimisme sur l’homme qui n’est pas du tout dans les gènes de la pensée sociale chrétienne.

    Bref, s’il y a convergence ponctuelle, il faut bien voir que c’est une convergence fragile qui repose sur des bases différentes voire divergentes.

    En réalité l’avis 126 du CCNE signale – il y est obligé – un point aveugle du dispositif : le donneur. Si l’anonymat est heureusement réaffirmé, en revanche on voit poindre une avancée dans la levée de l’anonymat, point sur lequel le groupe bioéthique et santé des Semaines sociales s’était prononcé depuis 2009.

    Cette levée – encadrée bien sûr – me semble être le point sur lequel la réflexion et l’action doit porter. La doctrine sociale n’y a pas, et pour cause, apporté une grande importance. Il s’agit là d’un de ces « silences » dont parlait jadis le jésuite Jean-Yves Calvez. Il vaudrait la peine de se pencher sur cette page encore blanche. C’est le rôle des Semaines sociales que de contribuer à écrire la doctrine sociale de l’Eglise. Plus encore que de la diffuser en l’état. Sous peine de psittacisme.

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