Origines : vers le droit de savoir pour s’ancrer

Par Blandine de Dinechin

Des personnes conçues par insémination artificielle avec tiers donneur anonymisé ont demandé à connaître toutes leurs origines (données personnelles et/ou identité de leur géniteur). Elles n’ont pas eu gain de cause avec la dernière loi bioéthique. Des experts favorables à la reconnaissance du « donneur d’engendrement » soutenaient pourtant qu’ils étaient « des humains comme les autres ». D’où des recours à la Justice. Ainsi le Conseil d’État va encore statuer, avant la fin de l’année 2015, pour une femme conçue par IAD (Insémination avec donneur) en demande d’accès à ses origines, mariée à un homme conçu également par IAD.

Valoriser les filiations sociale et éducative est logique. Négliger pour cette raison la filiation biologique, constitutive de la personne dans son corps, du visage aux pieds, est insatisfaisant. Un exemple : Les médecins demandent souvent à leurs patients leurs « antécédents familiaux ». S’ils continuent de le faire, il faudra bien qu’un jour l’accès à ses origines personnelles soit possible pour tous. En valorisant les filiations sociale et éducative, le curseur des représentations sur « la famille » bouge. Cela favorise l’intégration sociale de toutes les familles, quel que soit le mode de conception ou de filiation des enfants. Après la loi de 2013 ouvrant le mariage et l’adoption aux personnes de même sexe, l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL) a ainsi été agréée en mai 2015 par l’union nationale des associations familiales (UNAF). D’où la question : les plus attachés à la reconnaissance sociale de toutes sortes de familles sont-ils aussi les plus attachés au droit pour tous de savoir d’où l’on vient ? Justice sociale à deux vitesses ?

Le don d’embryon anonymise doublement les origines personnelles biologiques des enfants nés par ce truchement. « Comment, dans vingt ans, l’enfant né de l’accueil d’embryon pourra-t-il s’approprier les modalités de sa conception ? », se demandent certains. Question biaisée car le don est gommé. Pourtant le « don d’embryon » par un couple précède l’ « accueil d’embryon » par un autre couple ! Posons donc d’abord une autre question : « Comment aujourd’hui des personnes, conçues il y a plus de 30 ans par IAD, se sont-elles approprié non pas leur mode de conception mais la réalité de leur privation par la loi du droit d’accès à leurs origines personnelles ? » En effet, pouvoir s’approprier les modalités de sa conception, c’est être renvoyé de facto au pouvoir ou au non pouvoir de s’approprier toutes ses filiations, sociale comme biologique, sans remise en cause de sa filiation juridique. Sur la question du droit de savoir, on s’étonnera d’ailleurs que certains croyants, parce qu’ils prônent l’unique filiation divine, par négligence ou mépris de l’incarnation, rejoignent des scientifiques pour qui les gamètes sont un simple amas de cellules. Entre convictions rigides de spiritualistes et matérialistes, entre écologie et business, quelle parole pour les premiers concernés par l’anonymat à perpétuité ?

Nous avons le recul suffisant pour stopper l’institutionnalisation à une échelle croissante du brouillage des origines. Il apporte du brouillamini dans la tête : « pas de soi, pas de toit ». Or, depuis un arrêt rendu en novembre 2014 par la Cour de Cassation, le professeur Hugues Fulchiron estime qu’une nouvelle étape s’ouvre : le droit pour tous de « savoir pour savoir ». L’ancrage et donc le devenir de générations « déjà là » en dépend. Le droit de « savoir pour savoir », utilisé ou pas, pourrait ainsi – le principe de non-rétroactivité de la loi étant sauf – mettre fin au déni du réel corporel.

Blandine de Dinechin, conseillère conjugale et familiale

4 Commentaires

  1. Jean-Pierre

    Il y a longtemps que les Semaines sociales se sont positionnées sur cette question de l’anonymat du donneur. Il n’est pas inutile, à ce propos, de rappeler cet article assez récent qui renvoie à d’autres, plus anciens. Il y a là un combat tout à fait central, qui touche à la fois des questions éthiques, juridiques, psychologiques et… commerciales.

    http://latribunedessemaines.fr/une-avancee-dans-la-levee-de-lanonymat-du-donneur-en-cas-di-a-d/

  2. Blandine de Dinechin

    Le Conseil d’Etat a statué aujourd’hui, 21 octobre 2015, pour la femme conçue par insémination artificielle avec donneur anonymisé, à laquelle je faisais référence.

    C’est Non pour le droit d’accès à ses origines personnelles, pour le droit de savoir pour savoir.

    On ne peut que se demander quelle est l’autonomie de la Justice en France par rapport à l’Exécutif.

    Qu’est-ce qui se prépare aussi en coulisses, au moment où vient d’être autorisé le don anonymisé de spermatozoïdes et d’ovocytes par des hommes ou femmes n’ayant jamais eu d’enfant, décret en application de la loi bioéthique de 2011? Qui a intérêt à quoi ? Et pour quoi ???

    Le rejet par le Conseil d’Etat de la demande de cette femme avocate a plus de conséquences qu’uniquement personnelles. C’est une conception de l’humain qui se joue derrière toutes les arguties juridiques employées, montrant globalement que sa demande était juste.

  3. Prune

    Trois précisions à propos de l’article publié :
    1/ Il est exact de parler de brouillage croissant des origines.
    Une femme conçue par insémination artificielle avec donneur anonymisé est actuellement enceinte suite à une insémination artificielle avec donneur anonymisé.
    Sans parler de l’anonymat toujours maintenu pour l’enfant dont elle accouchera, de quelles garanties sérieuses dispose-t-elle pour être assurée, compte tenu de l’anonymat du don, qu’il n’y a pas eu utilisation des gamètes de son propre donneur ?

    2/ Pour augmenter le nombre de donneurs de sperme et d’ovocytes, un décret publié au Journal Officiel du 15 octobre 2015, stipule que les donneurs n’ayant jamais procréé ont droit à une compensation en nature, à savoir la conservation de leurs gamètes, pour leur usage personnel. Cela crée donc une discrimination entre les donneurs ayant déjà eu un enfant et ceux qui n’en ont pas eu. Cela correspond aussi à un changement d’interprétation de la gratuité.

    3/ Dans la mesure où cette notion du « don gratuit », pour cause d’altruisme et de non marchandisation du corps humain, est interprétée désormais autrement qu’auparavant, peut-on sérieusement continuer à discourir de la même manière qu’auparavant sur l’autre socle de la loi bioéthique française qu’est encore l’anonymat du don?

    4/ Enfin, le même décret stipule que la conservation de gamètes à usage personnel, dans ce cadre de la compensation en nature, peut se poursuivre en vue de don, y compris en cas de décès du donneur.

    Ces éléments donnent à penser, indépendamment de toute option politique ou religieuse, que le marché du don de gamètes est ouvert. N’y a-t-il pas une irresponsabilité sociétale croissante à encourager le don pour obtenir un plus grand nombre de donneurs, tout en maintenant définitivement l’anonymat du don ?
    Les couples homosexuels qui ne peuvent pas masquer le recours à un tiers donneur ou porteur pour avoir un enfant

  4. Prune

    Les couples homosexuels qui ne peuvent pas masquer le recours à un tiers donneur ou porteur pour avoir un enfant conduisent à revoir autrement toutes les questions relatives à l’anonymat.

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