Par Jean-Pierre Rosa
Cette demande du pape François aux membres du sommet de Davos a reçu un renfort particulièrement remarqué de la part de l’ONG Oxfam qui a publié, il y a quelques jours une étude montrant que, sur la période récente, les inégalités entre riches et pauvres ont prodigieusement augmenté.
Quelques chiffres suggestifs résument le propos : 1 % de la population mondiale détient plus de la moitié des richesses du monde. Ou encore : 62 personnes possèdent à elles seules autant que la moitié la plus pauvre de la population mondiale (soit 3,6 milliards d’individus). Et, en terme de progression, la fortune des plus riches a augmenté de 44 % et celle des plus pauvres a diminué de 41 % Autrement dit, depuis 2010, reprenant en cela un mouvement à peine interrompu par la crise de 2008, les inégalités se creusent de façon tout à fait abyssale et rapide.
Ces chiffres saisissants ont été abondamment répercutés par la presse mais, assez curieusement, sans beaucoup de commentaires, sinon ceux de quelques esprits chagrins contestant le bien fondé du calcul. Une critique récurrente consiste à dire qu’Oxfam raisonne en terme de patrimoine et non de revenu, ce qui reviendrait à réfuter certains indicateurs reconnus (fondés sur les revenus) qui tendent à montrer que la pauvreté a reculé dans le monde. En effet si l’on raisonne en terme de patrimoine un ménage américain fortement endetté devrait être considéré comme plus pauvre qu’un paysan Indien accumulant un petit pécule. Certes l’image est frappante mais souvenons-nous qu’en 2008 les Américains endettés ont regretté amèrement de n’avoir pas intégré la sagesse du dicton : qui paie ses dettes s’enrichit. Disons plutôt que l’étude d’Oxfam rééquilibre une vision optimiste sur le recul de la pauvreté dans le monde.
Surtout elle bat singulièrement en brèche la théorie du « ruissellement » qui justifie les écarts de richesse en expliquant que les biens des plus riches favorisent l’économie parce qu’ils sont réinjectés dans l’économie sous forme de consommation ou d’investissement.
Bien sûr la culture anglo-saxonne, américaine notamment, est une culture du don : celui qui a beaucoup gagné doit, socialement, donner. Mais cette générosité est absurde et délétère d’une part parce que celui qui s’est très vite enrichi l’a forcément fait en appauvrissant l’une ou l’autre population, d’autre part parce que le don à grande échelle peut être une forme de pouvoir suprême qui rompt les équilibres, comme on le voit avec la fondation de Bill Gates.
En réalité cette concentration de richesse est non seulement singulièrement injuste mais surtout totalement suicidaire d’un point de vue social. Car elle nourrit le ressentiment de tous ceux qui sont laissés sur le bord du chemin, qu’ils soient au nord ou au sud. Elle alimente la désintégration sociale en cultivant le chacun pour soi. Elle encourage la corruption et l’évasion fiscale. Elle fait le lit des populismes.
Face à une telle injustice et à une telle absurdité, il convient de lutter. Oui, de lutter contre ce mouvement apparemment inexorable qui s’apparente à une sorte de ruissellement à l’envers, des pauvres, tout en haut, vers les riches, en bas ! Le tout premier moyen qui se présente pour essayer d’endiguer ce ruissellement consiste à s’appuyer sur le seul système légal de redistribution : l’impôt. Celui-ci fonctionne à condition de n’être pas détourné. La question de l’évasion fiscale notamment, sur laquelle Oxfam attire justement l’attention, ne se résoudra pas par quelques paroles pieuses mais par le combat résolu de toute la société civile faisant pression sur les politiques et les riches eux-mêmes. Souvenons-nous que c’est au moyen de la criminalisation de la fraude fiscale que les Américains ont lutté contre la Mafia.
Jean-Pierre ROSA
Attention à la qualité et l’utilisation des chiffres d’Oxfam…
En matière d’inégalités, la situation française a vraiment peu à voir avec ce qui se passe dans le reste du monde .