#NotInMyName

Par Pierre-Yves Stucki

L’assassinat du guide français Hervé Gourdel a suscité une indignation unanime en France et au-delà. Parmi les réactions s’est notamment fait entendre la voix de nombreux musulmans qui ne supportent plus de voir leur religion associée à cette barbarie. Sur Twitter, le hashtag #NotInMyName exprime leur refus de laisser leur nom usurpé et défiguré par des extrémistes.

À cette occasion, certains se sont cru autorisés à exiger des citoyens musulmans qu’ils se démarquent publiquement de ces atrocités, avec l’arrière-pensée que cette condamnation devrait être exigée parce qu’elle n’irait pas de soi, et qu’elle n’irait pas de soi parce que tout musulman serait a priori sinon complice, du moins suspect de complaisance. Sous couvert de condamner l’islamisme, certains cherchent en réalité à profiter de l’occasion pour jeter le discrédit sur tous les musulmans.

Une telle attitude qui ne contribue qu’à cultiver le conflit n’est ni juste, ni responsable. Elle rate surtout le plus important. En effet, comme l’a noté Abdennour Bidar, la parole publique des représentants musulmans face au terrorisme islamiste fut longtemps réduite à l’appel à « ne pas faire d’amalgame ». Or s’il est acquis que l’islamisme est une perversion de l’islam qui le dénature, il reste que cet extrémisme est, malgré tout, issu du monde musulman. Les musulmans ont donc, dans la lutte contre ce cancer, un rôle que personne ne peut tenir à leur place, ne serait-ce que parce qu’ils sont les plus audibles par ceux qui en subissent la fascination, et qu’ils sont les premiers à pouvoir récuser l’exploitation faite de leur nom.

La condamnation des crimes commis en invoquant la religion est en outre une condition nécessaire du dialogue interreligieux. C’est en ce sens que le Cardinal Tauran a pu exprimer son désarroi, cet été, devant le silence des autorités musulmanes. Mais il l’a fait précisément au nom du dialogue interreligieux dans lequel il est engagé, et les autorités musulmanes d’Égypte n’ont pas tardé à répondre à son appel.

Il faut donc saluer ce sursaut de l’opinion musulmane, qui n’est pas un changement sur le fond, car ces condamnations ne sont pas nouvelles (dès 2010 le CFCM dénonçait la persécution des chrétiens en Irak), mais bien plus une prise de conscience collective de la nécessité d’affirmer de manière plus forte un rejet dont l’expression officielle semblait un peu embarrassée.

Les réseaux sociaux, avec leur force démocratique, ont participé à ce processus. Et l’on peut s’interroger aussi sur la médiatisation tardive en France de ces réactions. Pourquoi a-t-il fallu si longtemps, pour que ce message résonne enfin dans les médias traditionnels et auprès du grand public ?

Pierre-Yves Stucki

Photo : D.R.

4 Commentaires

  1. Jean-Yves

    Article non signé

  2. Thérèse Poizat

    Merci pour cet article très pertinent et encourageant pour l’avenir !

  3. JPR

    Je viens de relire le message que les Semaines sociales avaient adressé, à l’issue de leur session de 2008 sur « Les religions, menace ou espoir pour nos sociétés » : http://www.ssf-fr.org/56_p_6964/message.html. A dire vrai tout y est.
    Aujourd’hui, même s’il semble peu probable que les vieux démons de la stigmatisation des musulmans et de l’Islam ne renaissent de sitôt, il est urgent de saisir ce temps favorable pour réécouter – et autant que possible mettre en œuvre – les 2 grandes invitations que contenait ce message. La première grande invitation nous était adressée à nous-mêmes : A nous chrétiens de commencer par vivre la coexistence des cultures comme une chance et non comme une menace. A nous encore de considérer le souci des pauvres comme une voie de perfectionnement de la société et de lutte contre les sources de la violence. La seconde grande invitation s’adressait aux multiples acteurs qui influencent la manière dont les religions peuvent contribuer à la vie sociale. Les médias, les entreprises, les politiques étaient conviés à faciliter cette contribution.
    Aujourd’hui il me semble utile de revenir sur le rôle essentiel de l’école. Ce n’est qu’en assurant loyalement, sans honte laïcisante mal placée, l’enseignement du fait religieux à l’école dans toute ses dimensions que l’on arrivera, en faisant reculer l’ignorance, à éradiquer les préventions et les préjugés qui font le lit de l’intolérance et des replis communautaristes de toute sorte.
    Il faut y mettre les moyens ? Sans doute, mais l’investissement est hautement rentable !

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