Par Paul Champsaur
La mondialisation diminue le pouvoir des Etats. Ce sont les acteurs de celle-ci, le plus souvent privés qui y gagnent. Les domaines concernés sont nombreux : environnement, régulation financière, lutte contre la fraude, placements des riches particuliers, fiscalité…
Je prendrai l’exemple de la fiscalité sur les grandes entreprises. L’internationalisation croissante de celles-ci leur donne la possibilité de payer de moins en moins d’impôt. Elles peuvent faire apparaître une grosse part de leurs bénéfices mondiaux dans les pays où la fiscalité est faible. Les États-Unis sont particulièrement touchés car les plus grandes entreprises de ce pays, telles Apple, Microsoft, Google, Amazon, sont très internationalisées. La France est également affectée car les grands groupes français réalisent plus de la moitié de leur activité à l’étranger. Dans les grands pays occidentaux, le taux d’impôt effectif payé par les petites ou moyennes entreprises est très supérieur au taux payé par les grands groupes. Ceci est gravement insatisfaisant. Il existe trop de « petit pays », tels qu’en Europe le Luxembourg, l’Irlande, ou même la Belgique qui ont adopté un code fiscal comportant des dispositions attractives incitant les multinationales à y localiser, de façon plus ou moins virtuelle, certaines activités. Les entreprises jouent sur les prix de transferts pour faire apparaitre le maximum de bénéfice dans les pays où le taux d’imposition est très faible. Un prix de transfert est le prix auquel sont facturés les échanges entre filiales. Les administrations fiscales nationales sont foncièrement incapables de réguler correctement ces prix de transferts.
Si j’ai raconté cette histoire ce n’est pas par intérêt pour la fiscalité des entreprises mais parce que ce sujet illustre bien le problème que pose la mondialisation aux Etats nationaux. La liberté de mouvement fait perdre aux Etats nationaux une partie significative de leur pouvoir. Les pertes considérables que subissent les grands Etats nationaux sont favorisées par le comportement de certains « petits Etats » parasites de la mondialisation. Les grands Etats sont face à un choix : reconnaître ces pertes comme définitives et en tirer les conséquences sur leurs objectifs souverains ou bien se lancer dans des coopérations internationales qui limiteront leur liberté d’action mais leur permettront de récupérer une part de leur pouvoir et de leurs recettes fiscales.
Dans l’exemple sur la fiscalité des grandes entreprises, la coopération internationale donnerait à chaque pays coopérant le droit de taxer une part du bénéfice mondial de l’entreprise. Cette part pourrait être égale à la part des ventes de l’entreprise à des entités tierces résidentes. Une telle coopération n’aurait pas à être acceptée par les « petits pays » à l’origine du problème. Il ne faut pas s’attendre à de grands accords internationaux avec développement d’institutions internationales analogues à celles créées dans l’immédiat après guerre (FMI, Banque Mondiale, OMC). Dans de nombreux pays les opinions publiques penchent vers une affirmation de la souveraineté nationale. Néanmoins il est possible d’imaginer des coopérations à géométrie variable dont l’Europe pourrait favoriser la mise en place.
Paul Champsaur, haut fonctionnaire français, ancien directeur général de l’Insee et ancien président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP).
hxyofy