Par Catherine Belzung
Modifier génétiquement des embryons et toute leur descendance ? L’idée est non seulement lancée dans quelques esprits, mais déjà en marche concrètement.. En effet, au début de cette semaine, le comité d’éthique britannique (le Human Fertilisation and Embryology Authority) a donné à des chercheurs d’un laboratoire de Londres l’autorisation de modifier génétiquement des embryons humains grâce à une nouvelle technique d’édition du génome : CRISPR-CAS9. Derrière cet acronyme barbare se cache une méthode simple d’utilisation, économique et facile d’accès.
La chose divise les chercheurs, car en même temps certains se lancent dans cette direction avec enthousiasme, pensant non seulement à leur gloire mais aussi aux malades qu’ils pourront peut être soigner un jour, alors que d’autres appellent à la prudence. En effet, des chercheurs, parmi lesquels deux prix Nobel et l’un des inventeurs de CRISPR-CA9 ont signé l’appel à un moratoire du Comité international de bioéthique de l’UNESCO, qui estime qu’une modification «contraire à l’éthique» des caractères héréditaires des individus pourrait faire resurgir l’eugénisme.
D’ailleurs, toute modification intentionnelle du patrimoine héréditaire de l’espèce humaine contrevient à la convention d’Oviedo, ratifiée par la France et 28 autres pays européens en 2011,
Mais qu’en est-il au juste ? Cette technique est déjà amplement utilisée à des fins de recherche chez l’animal. Et chez l’Homme, son utilisation est autorisée, mais dans des cellules non germinales, donc sans risque de transmission à la génération suivante. L’un des premiers dangers vient de la simplicité de la technique, qui consiste à faire un genre de « couper-coller » dans l’ADN : en effet, qui dit simplicité et faible coût dit aussi utilisation à la portée de n’importe quel apprenti sorcier. Bien sûr, nous n’en sommes pas encore là, car un premier essai tenté par une équipe chinoise en 2015 (qui voulait soigner la beta-thalassémie) s’est révélé hasardeux et largement infructueux. Néanmoins, le marché s’est déjà emparé de l’idée, et une petite start-up, Editas Medicine a été crée. Ensuite, le risque de couper des segments de l’ADN à des endroits non voulus est réel : dans ce cas, on créerait une seconde pathologie (transmissible bien sûr aux générations suivantes) en tentant de supprimer une première maladie : la résultante finale pourrait bien être pire que l’état initial.
Enfin, le risque d’eugénisme est là : certains rêvent de créer ainsi des bébés plus intelligents, avec tel trait de personnalité, etc.. Cette dernière piste relève cependant totalement du mythe, car la technique n’a de sens que pour des traits qui sont héritables à 100% (c’est le génome qu’on édite) alors que les traits recherchés ont une hérédité faible (la contribution génétique dans l’intelligence est de 50%, et elle est de 45% pour les traits de personnalité).
Comme quoi, se laisser prendre dans le miroir aux alouettes du réductionnisme mène facilement à des errements éthiques..
De quelles armes dispons-nous réellement au niveau international ?
La Convention d’Oviedo stipule :
» Les Parties à la présente Convention protègent l’être humain dans sa dignité et son identité et garantissent à toute personne, sans discrimination, le respect de son intégrité et de ses autres droits et libertés fondamentales à l’égard des applications de la biologie et de la médecine.
Chaque Partie prend dans son droit interne les mesures nécessaires pour donner effet aux dispositions de la présente Convention. »
Chaque pays est donc renvoyé à sa propre juridiction interne. Ou alors il faudrait faire la preuve, devant la CEDH que les chercheurs contreviennent à l’article 13, qui me semble flou :
« Une intervention ayant pour objet de modifier le génome humain ne peut être entreprise que pour des raisons préventives, diagnostiques ou thérapeutiques et seulement si elle n’a pas pour but d’introduire une modification dans le génome de la descendance. »
N’est-ce pas l’occasion de faire avancer le droit ?
Oui, je pense que le droit avance souvent par soubresauts, et en réaction à des événements.. C’est donc une occasion à saisir, mais le débat est compliqué, car il n’est pas certains qu’un consensus puisse se trouver facilement. En effet, dans ce genre d’affaire, chacun pense agir avec de « bonnes motivations », qui pour soigner le futur embryon, qui pour protéger l’humanité de modifications génétiques transmissibles..Il faudrait probablement, à défaut de loi, œuvrer pour que soit établi un moratoire?