Les jurés désavoués

Par Jean-Pierre Rosa

Dans la récente affaire Jacqueline Sauvage, les jurys populaires des cours d’Assise du Loiret puis du Loir et Cher ont dû se sentir désavoués par la grâce présidentielle. Ayant moi-même été tiré deux fois au sort (étrange hasard!) pour faire partie de ce type de Jury, je peux témoigner de ce que j’y ai compris et vu.

En arrivant, on est tout d’abord étonné du nombre invraisemblable de personnes qui sortent de leur poche ou ont fait parvenir … un certificat médical – de complaisance, merci les médecins – attestant de leur impossibilité d’accomplir leur devoir citoyen. Comme les frais professionnels sont remboursés par la Justice aux intéressés et que ce devoir s’impose, c’est en effet la seule manière d’y échapper… pour de bonnes ou de mauvaises raisons.

Ensuite j’ai pour ma part été frappé de la pédagogie mise en œuvre pour faire comprendre aux jurés la raison de leur présence, le déroulement du procès, la façon dont les choses se passent, les obligations auxquelles ils seront soumis (le fameux secret des délibérations notamment). Le soin apporté à informer les jurés est tout à l’honneur de la Justice. Bien sûr ce n’est pas en quelques heures que l’on peut prétendre connaître le code pénal mais tout de même. Par ailleurs le niveau des jurys est excellent. Les questions pertinentes. Bref, on ne « manipule » pas un jury populaire aussi facilement que certains l’imaginent.

Au cours du procès, on est présent à 100 % pendant les 2 ou 3 jours de l’affaire. On sent bien que c’est un condensé d’humanité mais on a le temps de se pénétrer des tenants et aboutissants de la cause. On évalue les personnes. On a entendu les témoins, on a vu, tout au long des heures, le ou les accusés. On les a entendu. Certains se découvrent au cours de l’audience, au moins pendant quelques rares moments.

Une fois les plaidoiries passées, on passe plusieurs heures enfermé au secret à délibérer. Lorsque la culpabilité est établie et qualifiée, il s’agit d’évaluer la peine. Il faut l’unanimité des 9 membres du jury pour que la peine soit acquise et, pour y arriver, on part de la peine la plus haute, on s’arrête à celle requise par l’avocat général et on descend ensuite de demi-année en demi-année jusqu’à ce que l’unanimité soit atteinte, les tenants de la peine la plus élevée devant s’incliner pour s’aligner sur la peine votée. Chaque vote se fait par bulletin secret. C’est donc un principe extrêmement favorable à l’accusé qui est ainsi mis en place. Un juré peut en effet théoriquement, à lui seul, faire baisser la peine jusqu’à celle qu’il a retenue.

J’ai été frappé par les 10 ans requis par les deux jurys. Avec un tel système, et vu qu’il y avait appel, il était presque fatal que la peine soit diminuée, même légèrement. Le fait qu’elle ait été maintenue après l’appel par la seconde cour d’Assises ne plaide pas en faveur de Jacqueline Sauvage.

C’est d’ailleurs sans doute pourquoi le Président de la République n’a gracié qu’ a minima sans remettre en cause le jugement. Il n’empêche : la « grâce » a été prononcée. Et la rumeur aura retenu que les Assises n’ont pas bien jugé. Comment s’étonner de la désertion des jurés ?

Jean-Pierre Rosa, de l’équipe du blog

Illustration : Alexandrin. Plan-type d’une Cour d’Assises en France

3 Commentaires

  1. Comme citoyen j’ai été frappé par la même observation : deux jurys populaires se prononcent, au nom du peuple français, pour une même peine de dix ans. Et voilà qu’un Président de la République, réincarnation du pouvoir royal, croit pouvoir s’affranchir de ce jugement uniquement pour satisfaire une opinion publique dont la « lecture compassionnelle » des faits ne repose sur aucune connaissance du dossier. Rude coup porté à la justice !

  2. Léa

    Dommage que vous le preniez comme cela.

    Personne ne dit que les Assises n’ont pas bien jugé. Au contraire. Les assises ont jugé. Elle a été déclarée coupable et le reste. La grâce présidentielle (dont l’existence est discutable et même assez scandaleuse en elle-même), la dispense d’exécuter sa peine, considérant qu’elle en a déjà assez enduré.

    On n’annule pas la peine, on ne remet pas en cause le jugement. On dispense de l’exécution. Un peu de nuance est possible.

    En cette année de la Miséricorde, c’est bien de cela qu’il s’agit -même si pour Hollande il s’agit avant tout de symbole et d’électoralisme. De dire que la culpabilité est là mais que la société pardonne ce geste au vu des circonstances de la vie. C’est bien le sens du mot grâce !!

  3. Jean-Pierre

    Oui Léa, j’aimerais être d’accord. D’ailleurs vous redites très justement que le Président a gracié a minima comme je le signalais. Le problème c’est que, lorsque vous écrivez : « Elle en a déjà assez enduré », on peut comprendre que vous vous rangez, ce qui n’est sans doute pas le cas, du côté de celles et ceux qui voudraient voir dans ce meurtre une légitime défense « différée ». Or, les deux jugements disent que ce n’est pas le cas. Loin de là.
    Maintenant si vous pensez, comme moi, qu’une peine de 10 ans est une monstruosité dans une vie, même avec les remises de peine, et que tout est bon à prendre pour réduire ce temps passé dans un des rares endroits sur terre où l’on ne se réhabilite pas, alors oui.
    Quant à la miséricorde, oui, bien sûr. Mais elle ne se donne, vous le savez bien, lorsque l’on reconnait, au moins un peu, sa part… Et là, il semble qu’il y ait du chemin à faire. Mais nous sommes dans un domaine qui nous échappe et qu’il faut laisser à l’aumonerie des prisons.

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