L’intelligence est-elle humaine ?

Par Catherine Belzung

Cela fait bientôt 50 ans que Gordon Moore (l’un des 3 co-fondateurs d’Intel), constatant que la puissance de calcul des ordinateurs doublait de façon régulière, a proposé qu’on pouvait tirer de cette observation une loi permettant de faire des prédictions. D’où certaines extrapolations : en 2025, un ordinateur pourrait égaler les performances d’un cerveau humain, et en 2050 un seul supercalculateur pourrait avoir la puissance computationnelle des milliards de cerveaux humains de la planète réunis. Les machines sont-elles sur le point de dépasser les êtres humains ?

La formulation de la « loi de Moore » est extrêmement précise : les ordinateurs vont dépasser le cerveau humain pour leur « puissance de calcul ». Répondre à la question ci dessus revient donc à interroger notre conception de l’intelligence humaine. Peut-elle se résumer en un ensemble d’opérations de nature computationnelle ?

Alain Turing, un mathématicien dont les travaux sont à l’origine des premiers ordinateurs, pensait que oui. En 1950, il proposait un test permettant d’évaluer l’intelligence d’une machine : si un ordinateur communiquant par synthèse vocale avec des observateurs humains se situant dans une autre pièce arrive à se faire passer pour un être humain pendant au moins 5 minutes, on peut le considérer intelligent. Justement, le 7 juin 2014, une machine russe a réussi cette prouesse, se faisant passer par 33 % des juges (Turing demandait qu’il y en ait 30%) pour un humain de 13 ans parlant mal l’anglais. On est encore loin d’une machine arrivant à se faire passer pour un adulte dans une conversation de plusieurs heures et arrivant à convaincre la majorité des juges!

D’autres cependant pensent que même si un ordinateur avait une capacité computationnelle fabuleuse, son « intelligence » resterait qualitativement très différente de la notre. Les arguments sont nombreux :

  • un ordinateur peut apprendre, dans une conversation, à répondre par telle phrase type à une question posée, sans en comprendre le sens. Car manipuler des informations est différent de comprendre (John Searle)

  • savoir des choses sur un mode abstrait est différent de les éprouver concrètement. Ce n’est pas parce que l’on a des connaissances scientifiques sur ce qu’est la couleur « rouge » que l’on peut « éprouver » ce que c’est que de voir du rouge (Frank Jackson). Or, sans cette aptitude, il est difficile de raisonner de façon créative.

  • les ordinateurs n’ont pas de corps. Or le corps permet de ressentir les émotions. Sans cette perception des changements corporels liés aux émotions, pas de pensée rationnelle. Des travaux récents en Neurosciences attestent de cette difficulté (Antonio Damasio)

On pourrait sans doute rajouter encore bien d’autres arguments, comme par exemple la difficulté des ordinateurs à entrer en relation l’un avec l’autre : ils savent communiquer entre eux, mais pas être en communion entre eux, ce qui rend leur intelligence fort différente de la notre.

Bref, même si d’ici 10 ans les ordinateurs égalaient ou dépassaient la puissance de calcul des êtres humains, ils resteraient sans doute bien éloignés de ce que nous sommes, car justement, nous sommes bien plus que des machines !

 

Catherine Belzung, membre du CA des SSF

3 Commentaires

  1. Michel Paumelle

    passionnant et stupéfiant !! le mystère de l’ homme et de sa pensée
    intelligente …

  2. Estrangin Bruno

    La « loi » de Moore est désignée ainsi mais n’est qu’une loi empirique de portée évidemment limitée dans le temps, comme toutes les « lois » physiques exponentielles. On consultera avec intérêt l’excellent article de wikipedia :
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_de_Moore
    qui est bien d’actualité puisque 2015 semble une limite à cette « loi ».

    Cette remarque n’enlève rien à l’article ci-dessus.

    Pour ce qui est de la communication en ordinateurs, je crains d’être affronté à un essaim de micro-robots insectes volants …

  3. Belzung

    Merci de ce commentaire. En effet, la « loi de Moore »est plutôt une proposition théorique, qu’une loi. J’ai utilisé cette expression car elle est couramment employée dans le domaine, mais en effet elle est simplement issue de prédictions faites à partir d’observations et ne peut pas prétendre au statut de loi dans le sens que l’on donne à ce terme en physique ou en biologie par exemple

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