Les évêques au chevet de Vincent Lambert ?

Par Jean-Pierre Rosa

Le cardinal Barbarin ayant ouvert le feu, un certain nombre d’évêques partent en campagne contre l’arrêt de la CEDH dans l’affaire Vincent Lambert. Une sorte de camouflet pour le secrétaire de la Conférence épiscopale, Olivier Ribadeau-Dumas, qui avait eu sur cette question des propos très mesurés. Que penser de cette cacophonie, sur la forme et sur le fond ? Sur la forme, cela manifeste une divergence de points de vue chez les évêques. Rien là de bien grave à condition que cela ne dégénère pas en lutte entre partis adverses par médias interposés. Mais du coup cette divergence autorise, sur le fond, à estimer que la question ne peut pas être tranchée aussi simplement en blanc ou en noir. Comme le disait de façon imagée Paul Ricoeur, il y a des « zones grises » de la morale, c’est à dire des situations où la décision prise en conscience ne peut pas être mise en avant comme « la » bonne solution, mais une sorte de moindre mal où le sens moral navigue à vue dans les cas-limites.

Mais notre époque a horreur des nuances, des doutes et des hésitations. Elle veut des certitudes et des réponses toutes faites. Ceux qui cherchent à légitimer l’euthanasie voudraient voir dans cet arrêt de la CEDH une sorte de blanc-seing tout comme ceux qui cherchent à protéger la vie à tout prix et quelles que soient les circonstances cherchent à y lire une transgression funeste. Pourtant l’arrêt de la CEDH est clair : il juge, pour ce cas précis et pour celui-là seulement, d’une part que la loi Leonetti, qui n’autorise pas l’euthanasie ni le suicide assisté, ne viole pas le droit à la vie inscrit à l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme ; d’autre part que les États bénéficient d’une marge d’appréciation quant à l’équilibre qu’ils choisissent d’établir entre le respect de la volonté du patient, qui se rattache au respect de sa vie privée (article 8 de la Convention) et la protection du droit à la vie (article 2 de la Convention). Arrêt de pure forme donc, dont on voit mal en quoi il peut déchaîner les foudres ecclésiastiques.

Nous avons déjà, par le passé, exprimé notre point de vue sur cette affaire en regrettant ce qui nous semblait être – déjà – un acharnement juridique. Nous le voyons ici à l’œuvre, et la mère de Vincent Lambert promet de ne pas s’arrêter. Que les médias en rajoutent, on peut le déplorer mais, à la limite, on peut les comprendre. Mais les évêques !

Jean-Pierre Rosa, de l’équipe du blog

6 Commentaires

  1. Mathieu Monconduit

    Ce sont les médecins eux mêmes qui s’exposent à de telles situations, et avec eux y exposent les personnes malades et leurs proches. Ils répondent à la demande « faites tout ce qui est possible! ».
    Les pratiques de ré-animation sont engagées devant des tableaux cliniques dont le pronostic spontané est la mort à court terme tandis que le pronostic avec ces traitements reste incertain ( grands prématurés, accidentés de la route avec trauma crânien, et inconscients…). Les critères de pronostic avec traitement, comme le moment d’évaluation des résultats , sont labiles, car dépendant des progrès des techniques disponibles et de leur accessibilité financière selon les lieux de prise en charge. Chaque « progrès » est suivi d’un élargissement des recrutements des services de réanimation, qui acceptent des situations de plus en plus complexes à fort risque d’échec vital . Les situations « grises » dans le domaine moral sont ici générées par des résultats médicaux gris. Qu’est ce qui est dit aux proches de ce risque de résultat gris ( avec toute sortes de nuances de gris) lors du transfert en réanimation? qu’est qui est entendu? S’il est difficile de fixer à ce moment là, avec les proches, une échéance d’arrêt de la réanimation en fonction de l’évolution, du moins le principe d’un tel arrêt devrait il être dit.
    C’est lors ces différentes étapes, et davantage que lors de la discussion collégiale en vue d’une décision d’arrêt, qu’est engagé le comportement éthique des soignants: il concerne non seulement le projet de maintenir ou de reconstituer l’intégrité de la personne, avec ses capacités relationnelles, mais aussi leur état d’acteurs économiques amenés à des choix, donc à des renoncements, dans l’usage des moyens que la société leur a confié pour le soin de tous et pas seulement de quelques uns, plus visibles que d’autres.
    Le droit à la vie, inscrit dans la Constitution, ne devrait il pas être mis en œuvre avec l’éclairage de la « destination universelle des biens », chère à la pensée sociale? Cela pourrait contribuer à ce que les « progrès » ne concernent pas que les techniques mais aussi la rationalité de choix de santé publique, d’affectations de ressources, ou de pratiques médicales, en vue de cette destination universelle. Cela mettrait plus en valeur la responsabilité des soignants d’un usage « vertueux » de leurs divers moyens dans un cadre réglementaire validé sans chercher à susciter de nouvelles lois et jurisprudences.

  2. BUTRUILLE Raphaël

    On apprend dans le point que le professeur Bernard Devalois, chef de l’unité des soins palliatifs de l’hôpital de Pontoise, s’est dit « scandalisé » par la diffusion de la vidéo, qu’il a qualifiée de « manipulation politico-religieuse ».
    Je ne vois pas trop en quoi il s’agit d’une manipulation, sauf à appeler le journal de 20h de manipulation dès qu’on présente des images (ce qui n’est pas faux d’ailleurs).
    La vidéo dérange car toutes les explications écrites ne sont pas lues, et ne rentrent pas dans les cerveaux :
    – Vincent Lambert n’est ni malade, ni en fin de vie, il est handicapé
    – Vincent dort, se réveille. Il ouvre les yeux, regarde les personnes autour de lui. Il peut manifester un contentement ou un mécontentement. Il est possible d’entrer en relation avec lui. Quand on lui parle, il vous regarde.
    – Vincent Lambert peut être transporté dans un service spécialisé qui s’occupera de lui
    La vidéo permet enfin de leur donner consistance ! Et c’est bien cela qui dérange !! Les yeux s’ouvrent enfin (comme les siens) sur le cas Lambert…

    Les médecins spécialistes semblent unanimes en affirmant : « une personne en état végétatif peut avoir des réactions qui ressemblent à des réponses à des stimuli mais n’en sont pas ».
    Cette affirmation, qui n’est qu’une posture d’autorité, montre qu’en fin de compte, ils ne savent strictement rien (d’où l’emploi du « peut »).

    On pourrait écrire tout et son contraire avec la même « assurance » :
    – « une personne en état végétatif peut réagir à des stimulis et interagir avec son environnement » – (Lire « le scaphandre et le papillon », même s’il existe une multitude d’états végétatifs)
    – « une personne en état végétatif n’a qu’une peur : qu’on le laisse mourir » – (Idem : en sortant du coma, avant qu’on ne le comprenne, JD Bauby, n’avait qu’une peur: qu’on le laisse mourir…)
    – « une personne en état végétatif peut rêver de manger des légumes »
    – « une personne en état végétatif peut apprécier d’avoir des visites »
    – « une personne en état végétatif peut ne pas apprécier d’avoir des visites »
    etc.
    Ces médecins feraient tout simplement mieux de dire qu’ils n’en savent rien ! et avoir davantage d’humilité.
    D’autres spécialistes doivent dire l’exact inverse…

    N’en sachant rien, je suis étonné que les verts ne montent pas au créneau pour défendre leur « principe de précaution »…mais, ce principe ne s’applique qu’aux bébés phoques, aux moustiques et au maïs…

    Le plus délirant, c’est que le CSA a été saisi : on peut lire des critiques sur la vidéo au prétexte qu’elle aurait été filmée sans son consentement. A priori, ces gens là ne sont pas gênés qu’on puisse le tuer sans son consentement…

  3. Mathieu Monconduit

    La présentation faite dans cette vidéo ne correspond pas à une démarche rigoureuse : quelle est l’occurrence de ces mimiques au cours de la journée, quelle évolution depuis deux ans, seraient des informations utiles avant de conclure à une relation de cause à effet entre téléphone et mimique, d’autant que les conditions de prise de vue et de montage, non cautionnées par un observateur neutre , peuvent prêter à discussion.
    Actuellement cette personne ne vit que parce qu’elle a des soins infirmiers et de kiné quotidiens, une alimentation et une hydratation par sonde gastrique (posée par gastrotomie): je considère que cet ensemble constitue un traitement, mobilisant des ressources très significatives, et dont le simple arrêt entrainerait la mort. C’est sur les plus pauvres que retentissent nos non décisions , nos refus d’aborder les questions d’équilibre financier et de répartition des ressources de santé, car c’est eux qui pâtissent surtout des moindres prises en charge par une Assurance Maladie en déficit et ils peuvent en mourir. Pour ma part, c’est plus là que je place le dilemme éthique.

  4. Jean-Pierre

    Pour Raphaël :
    Cette video et les réactions qu’elle suscite me semblent relever justement de cet acharnement médiatico-juridique que je dénonce.
    Cependant, en lisant les journaux et les précisions des médecins, je commence à comprendre la réaction de la mère de Vincent, sans lui donner raison pour autant. La video est effectivement dérangeante mais les réactions du professeur Kragier et, étonnament de Bernard Devalois, ancien président de la SFAP, tout comme celle de Mathieu Monconduit, sont convergentes : une personne en état végétatif peut avoir des réactions qui ressemblent à des réponses à des stimuli mais n’en sont pas. D’où le malaise. La mère de Vincent Lambert qui n’a pas suivi l’évolution de l’état de son fils avec la même proximité que sa femme peut avoir été durablement – et sans doute très violemment – troublée, au point de croire à un « complot » des médecins et de sa belle-fille.
    Jean-Pierre Rosa

  5. Prune

    Désolée pour vous, mais vous parlez de manière assez intellectuelle ou « convictionnelle » et pas assez tripale.

    Quand on a eu un enfant en situation de coma dont on a guetté, au millimètre près, d’éventuelles réactions sur le visage, on peut comprendre certains désarrois.
    On peut même entendre la judiciarisation. Ce qui est absurde reste absurde. Et la médecine, comme le signale M Mauconduit, peut absurdiser le déjà absurde.

    Mais ce qui est totalement inacceptable, c’est qu’une vidéo ait pu être réalisée et utilisée. C’est instrumentaliser une personne.

    Pour avoir une photo d’enfant dans le coma, le cirage, appelez ça comme vous voulez, je sais qu’elle est cachée entre deux livres, là où vraiment personne n’ira la regarder.

    Car photographier ou filmer une personne dans ce type d’état, c’est lui voler le peu du peu qu’il lui reste, sans qu’elle puisse dire « oui ».

    Ceux qui ont filmé Monsieur Lambert et ont diffusé cette vidéo sont, à mes yeux, des voleurs/violeurs d’intimité. Là est mon éthique.

  6. Jean-Pierre

    Je crois utile de porter à la connaissance de nos lecteurs-débateurs ce propos très sain de Véronique Margron, théologienne moraliste.

    http://www.la-croix.com/Religion/Spiritualite/L-Eglise-doit-elle-avoir-un-avis-tranche-sur-tous-les-sujets-2015-06-19-1325574

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