Par Jean-Pierre Rosa
Plus le temps passe, plus la situation devient intenable à Calais. Intenable pour les migrants, parqués en grande quantité – plus de 6000 – dans le bidonville de la Jungle. Intenable pour ceux d’entre eux qui essaient malgré tout de passer et se voient au mieux refoulés sans ménagements par les marins, les camionneurs, les policiers. Intenable surtout pour ceux qui essaient, contre toute raison, de s’engouffrer dans le tunnel ou de plonger dans l’océan pour rejoindre les ferries. Ceux-là risquent leur vie auprès des immenses hélices ou des locomotives.
Mais la situation est tout autant intenable pour les marins, inquiets de ces assauts qui risquent toujours d’être mortels. Elle l’est aussi pour les camionneurs qui risquent gros s’ils laissent un migrant monter dans leur remorque. Elle l’est pour les policiers qui voient le moment où ils ne pourront plus contenir la pression. Quant au personnel d’Eurotunnel, fortement ébranlé par les accidents mortels déjà survenus, il cherche réconfort dans la cellule d’écoute psychologique mise en place à son intention.
Et il est faux de dire que le gouvernement ne fait rien et qu’il «a abandonné » Calais comme on a pu récemment le lire dans une pétition. Préfet, élus de tous bords, associations, gouvernement travaillent autant qu’ils le peuvent à trouver des solutions.
Une grande partie du drame vient de l’intransigeance britannique qui fait de Calais un sas hermétique pour tous ceux qui veulent rejoindre l’Angleterre. Et l’intransigeance britannique elle-même a ses racines dans une politique d’immigration longtemps plus libérale que celle qui a court en France et a créé, sur le sol Anglais, un refus brutal de toute immigration supplémentaire.
Pour ceux qui cherchent des coupables, la situation de Calais a quelque chose de profondément frustrant. Au fond, s’il y a un coupable, un vrai, il ne s’agit pas d’une personne mais d’une différence de traitement. C’est pour avoir, pendant trop longtemps, géré de façon plus libérale qu’en Europe la question des flux migratoires que la Grande Bretagne se trouve aujourd’hui dans une position de refus qui créée, à Calais, l’insupportable et l’inhumain.
Et il n’est pas interdit de penser que si les pays européens n’adoptent pas très vite une politique commune, la situation sera la même en Serbie, en Hongrie, en Croatie, en Italie, en Grèce, en Slovénie….
J’ai plaidé sur ce blog pour une ouverture des frontières. L’idée n’est pas irréaliste mais à condition qu’elle soit appliquée au niveau de l’Europe entière. Faute d’y arriver, il faut se résoudre à une gestion commune et coordonnée des flux migratoires. C’est le seul moyen, au niveau de notre continent, d’honorer nos valeurs et de ne pas tomber, à Calais ou à Lampedusa, dans l’inhumain. Devant les drames actuels et ceux que l’on voit poindre, il nous faut impérativement et rapidement, afin de rester nous-mêmes, plus d’Europe, beaucoup plus d’Europe.
Jean-Pierre Rosa, de l’équipe du blog
Crédits photo : Paris-Match © Olivier Jobard