Par Antoine Arjakovsky
Le pape François et le patriarche Kirill se sont donc rencontrés le vendredi 12 février 2016 pendant deux heures à La Havane, dans les salons VIP de l’aéroport international José Marti. Cette rencontre restera longtemps comme un échec retentissant du rapprochement œcuménique entre les chrétiens d’Orient et d’Occident.
D’abord parce que les deux pasteurs n’ont pas prié ensemble en public. Alors que depuis 1979 il existe une commission mixte de dialogue théologique entre l’Eglise Orthodoxe et l’Eglise Catholique et que les deux Eglises affirment avoir la même conception des sacrements et de la liturgie. Ils invalident de la sorte le travail de plus de 35 ans de dialogue œcuménique entre les deux Eglises.
Ensuite, parce qu’à défaut de caractère œcuménique, la rencontre a pris une tournure hautement politique, mais de la pire manière pour l’Eglise du Christ. En effet les deux hommes ont signé une déclaration commune, de 30 points, alignée entièrement sur la vision du monde du Kremlin. Les deux hommes présentent la guerre russo-ukrainienne comme une « confrontation en Ukraine ». Chacun sait pourtant, surtout depuis que le président Poutine a lui-même avoué en 2014 avoir initié l’annexion de la Crimée, qu’il s’agit d’une véritable guerre qui a emporté plus de 10 000 morts du côté ukrainien.
Les deux hommes ne disent pas un mot de la suppression de l’Eglise grecque catholique par Staline avec le soutien du patriarche orthodoxe Alexis de Moscou en mars 1946, il y a exactement 70 ans. Une Eglise de 5 millions de fidèles fut victime de persécutions, d’arrestations, de déportations et d’exécutions pendant 70 ans, et les deux chefs d’Eglise qui se rencontrent pour la première fois, font mine de ne pas voir cette blessure encore purulente. Le pape François et le patriarche Kirill veulent se distancier « des vieilles querelles de l’ »Ancien Monde » » mais oublient tout simplement que nulle part sur la terre, pas même à Cuba, on ne peut construire la paix sans la justice.
Les deux hommes se disent aussi prêts à prier pour les chrétiens d’Orient mais ne soufflent pas un mot sur les scandaleux bombardements de civils par l’aviation russe ayant lieu au même moment à Alep (alors qu’ils n’hésitent pas à se prononcer pour la libération de deux évêques orthodoxes syriens). Bien sûr les deux chefs d’Eglise font un « appel à la communauté internationale », pour « des actions urgentes », et « pour empêcher que se poursuive l’éviction des chrétiens du Proche Orient ». Mais ce ne sont que des mots vides que chacun peut interpréter comme il veut. Côté russe pourtant, le patriarche Kirill a béni en septembre 2015 l’envoi de troupes russes en Syrie. Le site du patriarcat de Moscou a même expliqué qu’il s’agissait d’une « guerre sainte », mots qui n’ont pas été désavoués par la suite par le patriarche Kirill. Par conséquent la position de surplomb adoptée par les deux hommes à la Havane n’est pas crédible. Elle ne fait que déconsidérer le patriarche, pour son double langage, et le pape, pour s’être solidarisé avec le patriarche. Tout ceci bien sûr ne peut que renforcer la sécularisation des sociétés de la planète.
Car leur appel « pour que l’Europe conserve son âme formée par deux mille ans de tradition chrétienne » sonne creux. L’âme de l’Europe en effet se trouve aujourd’hui, comme l’a affirmé José Manuel Barroso, du côté de ceux qui ont lutté sur la place Maïdan de Kiev pour la dignité de chaque personne humaine. Elle se trouve aussi dans les communautés œcuméniques en Europe qui, fidèles à la longue histoire œcuménique de la conscience européenne, ne craignent pas de communier au même calice, en sachant que ce qui unit les disciples du Christ est bien plus important que ce qui les divise.
Enfin cette déclaration est un mauvais tour joué aux Eglises Orthodoxes par le Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens du Vatican. En effet au moment où le patriarche œcuménique de Constantinople Bartholomée vient tout juste de convoquer un concile panorthodoxe en Crète au mois de juin 2016, au moment où il voit son leadership confirmé par l’ensemble des 14 Eglises Orthodoxes, le pape François signe une déclaration à visée planétaire avec …le n°5 de la hiérarchie orthodoxe. Certes, le patriarcat de Moscou compte nominalement près de 60 millions de fidèles, mais cela ne représente qu’un quart de l’ensemble du monde orthodoxe. On a peine à imaginer quelles pourraient être les réactions du Vatican si le patriarche œcuménique de Constantinople signait une déclaration avec le chef de l’Eglise catholique en Argentine sur tous les sujets chauds de la planète sans même penser en référer au pape de Rome. Ce n’est donc pas seulement le patriarche de l’Eglise grecque catholique ukrainienne Mgr Sviatoslav Shevchuk, c’est aussi le patriarche Bartholomée qui est victime de cette funeste rencontre de Cuba.
Antoine Arjakovsky, membre du Conseil des SSF
Merci beaucoup pour la description de cette funeste rencontre. Je lis aussi la description de cette rencontre dans La Vie (n° 3677) par Jean-Pierre Denis qui conclut que « le pape est peut-être plus lucide . . . » Je trouve que Alain Arnoux (Réforme n° 3644) m’éclaire pacifiquement quand il écrit : « celui qui passe par une puissance qui n’a pas été crucifiée, pour répondre à des attentes qui n’ont pas été crucifiées » et je dis que ce « celui qui », c’est moi ! Pour l’instant, « François lui (Kirill) a tout cédé » ; les « crucifiés » sont bien identifiés : théologiens, ukrainiens, les gréco-catholiques, les syriens, les orthodoxes, les chrétiens d’orient et mon cri vers le ciel monte avec le cri de tous ces « crucifiés ».
Et c’est le péché, c’est-à-dire le diable et ses légions de démons, qui a cloué Jésus sur la Croix il y a 2016 ans! Mais Il a vaincu la mort une fois pour toutes. Il est vivant et ressuscité pour les siècles des siècles. Et c’est notre péché, c’est-à-dire le diable et ses légions de démons, qui nous cloue aujourd’hui encore et nous maintiens paralysé sur chacune de nos croix? Saurons-nous saisir la main du Seigneur Jésus qui veut nous arracher à nos croix mortelles pour nous faire entrer vivant et ressuscité dans son Royaume de Lumière ?
« Convertissez-vous et croyez à la bonne nouvelle »
C’est le message de cette déclaration commune. Elle reflète la volonté de Dieu, comme l’a rappelé notre pape François, c’est certain. D’autres signes nous sont donnés, nous ont été donnés et nous serons donnés pour que nous nous convertissions à Sa Parole d’amour et de vérité. Saurons-nous les voir et saisir la main du Seigneur qui veut nous faire entrer vivant et ressuscité dans son Royaume de Lumière?