Le Traité transatlantique : un projet immense

Par Jérôme Vignon

Depuis quelques temps, le Traité transatlantique fait la une des magazines et des quotidiens, et suscite plutôt une grande méfiance, que ce soit au sein des partis ou dans le milieu des ONG. Jérôme Vignon, qui a longtemps travaillé à Bruxelles, décrypte les enjeux de cette grande négociation et va à contre courant de quelques idées reçues.

Nous devons en tout rechercher la justice. Encore faut-il le faire avec un souci de justesse. Les négociations qui viennent de s’engager autour d’un Traité transatlantique pour le commerce et l’investissement illustrent cette double exigence. Sans doute parce qu’elle vise à favoriser la liberté des échanges des deux côtés de l’Atlantique, cette négociation n’a pas bonne presse .

Pourtant ce projet immense n’a rien à voir avec une dérégulation. Tout au contraire, il a pour but de faciliter l’application réciproque des réglementations existantes et futures, notamment dans les domaines sensibles de la finance et de l’environnement. Les critiques doivent donc viser juste.

Il n’est pas juste, par exemple d’accuser l’organe prévu pour le traitement des litiges entre les entreprises et les États, de constituer un renversement de la hiérarchie des normes internationales au motif que des entreprises pourraient désormais s’affranchir de législations nationales en attaquant les États concernés devant cet organe. De tels organes existent depuis longtemps. Ils n’ont pas la possibilité de bloquer les progrès des législations nationales sous la pression des investisseurs : ils se prononcent sur le caractère discriminatoire de l’application des législations. En revanche, on s’interroge à bon droit sur le statut d’un tel tribunal, vu son importance stratégique. Reste à œuvrer pour que ce tribunal bénéficie des plus hautes garanties de compétence et d’impartialité, au service de toutes les parties.

De même n’est-il pas vraiment fondé d’affirmer que les négociations conduiraient à un affaiblissement des règles existantes au sein de l’UE ou aux Etats-Unis, notamment en matière de protection de l’environnement ou de la santé publique. Les deux parties ont convenu qu’elles n’entendaient pas renoncer aux protections essentielles prévues dans leurs législations nationales, surtout lorsqu’elles estiment leur niveau supérieur à celui de la partie adverse. Ce qui est en cause ici, c’est la transparence de la négociation, permettant de vérifier les engagements des négociateurs. Le Parlement européen jouera ici un rôle, mais seulement en bout de chaîne.

A dire vrai, les Européens n’ont guère le choix. Alors que les pays émergents et les États-Unis contournent de plus en plus fortement les discussions dans le cadre multilatéral de l’OMC, ne pas s’engager à notre tour dans de telles négociations nous faisait courir le risque de la marginalisation. Au moins, dans une négociation globale avec les États-Unis, l’Union européenne peut- elle faire valoir l’avantage comparatif que lui donne son expérience de 20 années du marché intérieur européen, construit autour d’une convergence à haut niveau des règles de protection des consommateurs et des travailleurs. En ce sens, les négociations pour un Traité sur le commerce et l’investissement constituent bien une initiative stratégique, parmi les plus importantes que la nouvelle Commission ait à conduire au nom de l’Union, avec ses États-membres. Souhaitons-lui de réussir : à court terme, en engageant un autre dialogue avec les citoyens et la société civile ; à moyen terme en permettant aux Européens, d’être à nouveau présents sur les grands dossiers « multilatéraux » de la mondialisation.

Jérôme Vignon, Président des Semaines sociales de France

10 Commentaires

  1. Pommier

    Je ne partage malheureusement pas tout à fait le positivisme de Jérôme Vignon que j’imagine quand même assez mal s’opposer vraiment à ce futur traité compte tenu de son éminent passé dans les instances européennes.

    Sa conclusion est quand même surprenante qui, à mon sens, ne va pas dans le sens d’un bonheur parfait à l’idée que ce traité pourrait être adopté sous sa forme actuelle : « …A dire vrai, les Européens n’ont guère le choix. Alors que les pays émergents et les États-Unis contournent de plus en plus fortement les discussions dans le cadre multilatéral de l’OMC, ne pas s’engager à notre tour dans de telles négociations nous faisait courir le risque de la marginalisation.. »

    Ce qui revient à écrire, en gros, qu’il va bien falloir choisir entre…la peste et le choléra, et franchement, ce n’est pas de cette façon qu’on imaginait la construction et l’avenir d’une Europe que chacun espérait forte et indépendante…

  2. Jean-Louis Posté

    TTIP OU TAFTA : UN LEURRE

    Le projet de traité transatlantique au vu des traités précédents :

    L’expérience passée montre que dans les litiges réglés par des traités similaires, ce sont souvent les états qui sont condamnés à de lourdes pénalités. En plus, le fonctionnement de ces tribunaux arbitraux coûte cher. Le respect des contraintes liées à la santé ou à l’environnement ne me parait pas du tout assuré. Le principe de précaution par exemple. Comment les tribunaux arbitraux formés d’experts économiques peuvent-ils être juges de ces questions ? Je m’attends à un nivellement par le bas, plutôt que par le haut. Pourquoi ne pas avoir recours aux tribunaux des pays concernés. Ainsi les investisseurs savent à quoi s’attendre.

    Je pense que le libre échange complet se fera au détriment des PME et des petits producteurs.

    Quelle société voulons-nous ?  Même sur le plan économique, ce n’est pas gagnant gagnant : voulons-nous défendre les achats de proximité ?
    Par exemple, les producteurs agricoles américains voudront la suppression des obstacles qu’ils considèrent comme non scientifiques.
    Ce ne sont pas les PME ou les coopératives qui oseront recourir aux tribunaux arbitraux, mais seulement les multinationales.

    Conséquences environnementales.

    En outre, le développement des échanges internationaux à tout va entraînera une nouvelle augmentation des transports de fret, avec augmentation des consommations d’énergies fossiles et augmentation de la production des gaz à effet de serre.

    Sur le plan social également on peut redouter le pire.

    Je suis un partisan de l’Europe, mais reconnaissons que l’Europe sociale n’a pas suivi : les différences de conditions sociales entraînent un nivellement par le bas. Ce sera pire au niveau international.
    Bref les contraintes actuelles ont une utilité sur les plans fiscal, économique et environnemental. Pour l’intérêt général et le bien commun, ce n’est souhaitable de faire la part trop belle aux multinationales dont les choix importants sont purement financiers. On ne peut pas compter sur elles en matière de choix sociaux ou environnementaux. La responsabilité sociale des entreprises ne fonctionne que si elle est encadrée.
    En conclusion :

    La sagesse est dans le juste milieu : ni protectionnisme réducteur, ni ultra-libéralisme.
    Ce n’est pas à l’économie de commander la société que veut construire l’Europe, et aller dans ce sens ne pourrait qu’augmenter le rejet de l’Union par les citoyens, surtout avec le manque de transparence de ce que nous prépare actuellement la Commission Européenne.

    8 octobre 2014

  3. Desouches

    Les deux commentaires précédents me donnent une sérieuse envie de voir Jérôme répondre de manière plus argumentée aux critiques formulées sur le projet de traité EU-USA.
    Que pense Jérôme de l’article, sur ce sujet, de Bertrand de Kermel dans le dernier numéro de la revue Etudes ?

  4. Jerôme VIGNON

    La brièveté exigée par le format blog m’oblige à répondre séparément aux trois commentaires , fort utiles à l’approfondissement.
    A Pommier je dirai que j’ai appris avec le temps à me méfier de mon propre enthousiasme européen. Un maître en la matière était J Delors qui répétait à une époque pourtant plus favorable que les Européens devaient choisir entre « la survie et le déclin ». Pas de quoi rêver. Il s’agissait non de renoncer à une ambition politique élevée , mais de s’épargner les chimères qui dispensent de faire le pas qui vous met en chemin.Le TTIP est un de ces pas significatifs susceptibles d’accroître ou de maintenir la capacité des Européens d’avoir encore quelque influence ou quelque rayonnement sur les grands sujets de demain:l’aménagement des villes, la prévention en matière de santé , les formes nouvelles de mobilité, la sécurité au travail . Ce sont des règles correspondantes dont il est question dans la « convergence des normes  » discutées dans le cadre TTIP avec un ensemble économique dont les questions sont au fond assez semblables aux nôtres bien que la culture règlementaire y soit différente : axée sur la régulation centralisée en Europe , sur la « litigation » aux USA.
    On peut évidemment renoncer de s’engager dans cette négociation. Le risque est grand qu’elle échoue tant elle est ambitieuse. Mais ce sera certainement au détriment de la capacité européenne d’influencer les négociations mondiales sur « les obstacles non tarifaires aux échanges ». N’oublions pas que la politique commerciale commune est la seule dans laquelle les Européens s’expriment d’une seule voix , sous mandat des Etats membres .

  5. Jerôme VIGNON

    L’ampleur des objections soulevées par Jean Louis obligent au schématisme. Je le prie de m’en excuser.
    Il m’apparaît d’abord que Jean Louis se fait une idée inexacte du mécanisme de règlement des différends propre au volet investissement du TTIP. Les litiges que ce mécanisme traitera ne permettront aucunement à un investisseur de mettre en cause une législation européenne (ou américaine si cet investisseur est européen). Le mécanisme offre un recours aux entreprises qui s’estiment victimes d’une discrimination par rapport à leurs concurrents implantés de longue date dans le pays ou la région d’accueil. La qualité des règles sociales et environnementales dans chaque ensemble UE ou US n’est pas affectée par le TTIP. Voir sur ce point les explications claires sur le site de la Commission . Ces explications sont données sous le contrôle des Etats puisqu’elles reflètent le mandat de négociation.
    La vraie question au sujet de l’instance d’arbitrage porte sur son statut. Juncker , contrairement à Barroso, proposera que les litiges soient traitées par les Cours existantes (CJCE pour l’UE) et non par une instance ad hoc .
    Les Pme ont au demeurant plus besoin de ce tribunal d’arbitrage que les grands groupes qui disposent de moyens de rétorsion sur les Etats par l’ampleur de leurs investissements.

  6. Jerôme VIGNON

    Poursuite de la réponse à Jean Louis.
    On ne doit pas réduire l’impact de l’accroissement des échanges commerciaux à une simple libéralisation (suppression d’obstacles aux échanges ) . La libéralisation s’accompagne aussi , de plus en plus, d’une convergence des réglementations. Ainsi les jouets chinois n’entrent ils en Europe que s’ils respectent les normes européennes de sécurité. Actuellement , les Chinois investissent dans l’agro alimentaire breton pour apprendre comment atteindre des objectifs de qualité phyto sanitaire dont leur propre ressortissants ont besoin.
    Cette convergence règlementaire connait deux grandes défaillances sociale (l’OIT n’a pas la possibilité de produire des règles réellement contraignantes . Les pays émergents s’y opposent particulièrement. Il n’y a pas d’équivalent au systême européen de concurrence destiné à lutter contre les inégalités de pouvoir (de taille) sur les marchés . On ne pourra pallier à ces insuffisances que très progressivement et sans doute dans le cadre d’accords régionaux ou bilatéraux .
    Le TTIP porte essentiellement sur la convergence règlementaire. Je ne crois pas qu’il soit de l’intérèt ni UE ni US de tirer cette convergence vers le bas . Au contraire , un degré élevé d’ambition, s’il donne lieu à un accord US/UE renforce la capacité de négociation et l’avance technologique des deux partenaires dans leurs négociations bi latérales avec les pays d’Asie.

  7. Jerôme VIGNON

    Toujours à l’attention de Jean Louis. Il est partial de mesurer l’impact environnemental de l’éventuel accord TTIP seulement à l’aune de l’accroissement des volumes d’échange et notamment des activités de transport. Il faut aussi tenir compte de l’accroissement de la diffusion des biens à haute performance environnementale . Dans les nouvelles technologies et les domaines encore peu explorés , l’accord TTIP vise l’harmonisation.
    Reste la question de Jean Louis : quelle société voulons nous? C’est une bonne question , mais le problème c’est aussi qui est ce nous et comment pouvons nous en tan qu’Européens influencer les modes de développement à venir. J’aborde cette dernière question qui est aussi celle de la gouvernance mondiale dans la réponse à Desouches

  8. Jerôme VIGNON

    Pour Desouches. L’article remarquable de B de Kermel paru dans le numéro de septembre de la revue Etudes a été le déclencheur de ma tribune sur le TTIP. Si l’on met à part le sujet relatif à l’organe de réglement des différends entre investisseurs privés et Etats (où je pense qu’une discussion de bonne foi nous mettrait d’accord, cf réponse à Jean Louis), je crois avoir une divergence importante de vue avec l’approche soutenue par B de Kermel. Certes, on peut être d’accord avec les quatre ou cinq objectifs qu’il fixe à une gouvernance économique , sociale et environnementale mondiale ,conforme aux critères de justice énoncés dans les grands principes de quelques déclarations (Johannesbourg) ou traités (TUE adopté à Lisbonne en 2009 par les Européens ). Mais il y a ne grande différence entre Johannesbourg (conférence mondiale) et Lisbonne (Traité communautaire): la première n’est assortie d’aucune disposition contraignante, le second s’adosse à une panoplie d’instruments juridiques supranationaux qui en permettent la réalisation.
    Contrairement à ce que semble croire B de Kermel qui sous estime à mon avis largement la dimension politique des rapports internationaux , la volonté des seuls chefs d’Etat ne pourra pas à elle seule faire advenir une juste mondialisation.
    L’expérience et les études montrent au contraire que les progrès d’une régulation humaine de la mondialisation se sont faits non d’en haut, mas par des « alliances  » horizontales et pragmatiques entre acteurs divers , sur des projets précis et non sur l’architecture des grandes institutions dites multilatérales.
    De ce fait le passage à l’acte , tel que l’envisage B de Kermel me semble illusoire . Du même coup la condamnation sévère qu’il fait du TTIP (un projet concret et somme toute assez pragmatique) ne rend pas service à la recherche d’un ordre mondial plus juste .

  9. girondin

    Je découvre ces jours-ci ce débat d’octobre dernier mais l’actualité remet ce fameux TTIP au premier plan ;
    M.Vignon écrit que les PME auront davantage besoin de recourir à l’arbitrage que les multinationales ,celles-ci ayant d’autres moyens d’action et de rétorsion à leur disposition ;certes mais concrètement les PME oseront-elles s’engager dans des processus longs,incertains et certainement coûteux alors que les multinationales ont des moyens illimités et des armada de juristes à leur disposition.
    Il écrit également que le TTIP recherche une convergence des normes et aura donc pour effet, s’il veut être efficace,de tirer celles-ci par le haut.Mais cette convergence des normes n’est-elle pas plutôt un moyen l’objectif concret immédiat étant d’augmenter les échanges de produit et service entre Etats – Unis et Europe ? A cet égard, à moins d’imaginer le retour à des taux de croissance élevés (ne révons pas et d’ailleurs,est-ce réellement à souhaiter ?) et à des niveaux de consommation toujours en hausse , si ces échanges augmentent , ce sera au détriment d’échanges entre Europe et autres zones ou plus encore des échanges intra-européens ou intra-nationaux.Est-ce souhaitable ? Très certainement pas , parce que l’Europe devrait avoir comme priorité le retour de fait ou de droit à une préférence européenne (je dis bien préférence,pas exclusivité,bien sûr) seule capable de maintenir la base productive du continent et donc l’équilibre des sociétés européennes, actuellement en grand danger .
    Mais au-delà de cet objectif concret et immédiat recherché par les promoteurs du TTIP , on ne peut que déceler l’intention d’un arrimage économique et social massif et définitif, ne laissant place à aucun échappatoire, entre Europe et USA qui se traduira immanquablement en politique étrangère d’ailleurs.Si le TTIP voit le jour,l’alliance entre les deux continents, devant réfléter une communauté d’intérêt à un moment donné et pouvant donc être révocable un jour comme toute alliance à travers l’histoire , donnerait naissance à une société atlantique définitivement unifiée ,l’exception culturelle si chère aux gouvernements français s’effilochant année après année comme on peut l’observer en France comme dans les autres pays européens (l’américanisation la plus rapide et la plus totale affectant depuis 20 ans les pays de l’est –européen). C’est que le jeu n’est pas égal entre les deux partenaires supposés et le partenariat ambitionné verra probablement se dessiner un duo entre dominant et dominé , certainement pas à l’avantage de l’Europe .
    Non vraiment, d’un point de vue éclairé par la morale sociale chrétienne et un regard attentif sur l’histoire,je ne vois aucun aspect positif à cet accord concocté entre experts échappant à tout contrôle démocratique ,le recours à ce dernier étant prévu in fine alors qu’il sera sans doute trop tard.

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