Laudato si : L’accélération en question

Par Jean-Pierre Rosa

Dans le long texte que le pape François consacre à l’écologie apparaissent une analyse et une prise de position qui risquent de faire débat mais procèdent d’une grande logique.

Lorsqu’il s’agit d’analyser les causes de « ce qui se passe dans notre maison », le pape commence presque aussitôt par pointer un problème que les Semaines sociales avaient rencontré dans leur session 2014 sur les technosciences : l’accélération sociale, analysée par le sociologue Harmut Rosa. « L’accélération continuelle des changements de l’humanité et de la planète s’associe aujourd’hui à l’intensification des rythmes de vie et de travail, dans ce que certains appellent ‘‘rapidación’’. Bien que le changement fasse partie de la dynamique des systèmes complexes, la rapidité que les actions humaines lui imposent aujourd’hui contraste avec la lenteur naturelle de l’évolution biologique. » Même si « le changement est quelque chose de désirable, il devient préoccupant quand il en vient à détériorer le monde et la qualité de vie d’une grande partie de l’humanité. »(18)

Assez logiquement, le pape préconise à plusieurs reprises la plus simple des antidotes à cet état de fait : la décélération. « Ce qui arrive … nous met de­vant l’urgence d’avancer dans une révolution culturelle courageuse. … Personne ne prétend vouloir retourner à l’époque des cavernes, cependant il est indispen­sable de ralentir la marche pour regarder la réalité d’une autre manière, recueillir les avancées positives et durables, et en même temps récupérer les valeurs et les grandes finalités qui ont été détruites par une frénésie mégalomane ». (114)

Et encore : « nous devons nous convaincre que ralentir un rythme déterminé de production et de consommation peut donner lieu à d’autres formes de progrès et de développement. » (192)

Cet appel à « une pause, voire même un retour en arrière » rejoint ce qu’il y a de meilleur dans les théories de la décroissance. Il ne s’agit pas de considérer de façon abrupte la décroissance comme un modèle mais – dans la lignée d’un Jacques Ellul ou, plus près de nous, d’un Serge Latouche – de proposer une méthode radicale pour changer de paradigme tant au niveau personnel que politique et social. Jusqu’à présent les théories de la croissance et de la décroissance se faisaient face sans véritable dialogue, chacune considérant l’autre comme irresponsable. Pour l’instant les tenants de la croissance sont aux commandes. Il faut espérer que le choix de François marquera le début d’un rééquilibrage des forces et d’une réflexion renouvelée sur cette question.

Jean-Pierre Rosa, de l’équipe du blog

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