La prévention, de l’incantation à l’action

Par Mathieu Monconduit
 

« Prévenir avant d’avoir à guérir » est le premier des trois axes de la Loi Santé présentée par la Ministre de la Santé, le 15 octobre. Les mesures proposées répondent-elles aux enjeux ?

Désigner un médecin traitant pour les enfants, améliorer l’information nutritionnelle, sanctionner l’incitation à la consommation « excessive » d’alcool, lutter « activement » contre la tabagisme, faciliter le développement des autotests de maladies sexuellement transmissibles ou, pour les adolescentes, l’accès à la pilule du lendemain auprès des infirmières scolaires , créer un Institut national de prévention, tout cela est bel et bon et chaque « mesure » a certes son intérêt. Mais l’ensemble n’exprime pas une vision, ne constitue pas une politique de prévention en matière de santé. Pour aller en ce sens il faudrait que l’ensemble de ces mesures repose sur des objectifs chiffrés, qu’elle favorise le décloisonnement des multiples acteurs actuels afin d’agir en cohérence pour les différents temps de la vie, qu’elle soit étayée par une recherche transversale sur les comportements des différents groupes de population, et qu’enfin l’ensemble soit rendu crédible par un calendrier, des évaluations et, bien sûr, des engagements financiers.

A l’heure où certains jeunes trouvent le sens de leur vie dans le djihad et la mort en martyr, et que d’autres, plus nombreux, noient leur angoisse de la vie dans des séances d’alcoolisation massive, comment parler non pas seulement du droit à la santé, mais, de façon plus élémentaire, du respect de sa vie , de sa santé ? Que la personne ait le souci de prendre soin de sa santé comme d’une valeur personnelle permettant l’expression de ses capabilités constitue le fondement de son adhésion à toute action de prévention. Dire cela, c’est aussi admettre qu’il s’agit là d’une valeur collective sur laquelle la société investit. Ce souci, ce sont d’abord les acteurs de l’éducation de l’enfant qui le développeront, en famille, à l’école et dans les divers espaces d’activités parascolaires.

Quand on sait l’état d’abandon de ce sujet au sein de l’Education nationale, limiter la nouvelle loi à proclamer que « la promotion de la santé en milieu scolaire est conduite par les autorités académiques, en lien avec les agences régionales de santé » déconcerte. Où sont la volonté politique et la crédibilité de celle-ci quand 1100 médecins scolaires ont la charge de 12 millions d’élèves, et que la moitié d’entre eux partiront en retraite dans les 5 ans à venir, avec 260 postes vacants, tandis qu’un tiers des postes proposés au dernier concours n’ont pas été pourvus, que les infirmières sont elles-mêmes débordées, qu’il n’y a pas davantage de signes de reconnaissance de cette activité par les médecins généralistes ou les PMI ? Sans un tel investissement lors des premières années de vie, quel espoir peut-on avoir que ces personnes, plus tard, comprennent leur corps, distinguent le normal de l’anormal, décident de consulter à bon escient et soient des acteurs responsables de leur maintien en santé comme de l’usage de l’offre de soins ?

Alors, en matière de prévention, n’en restons pas à l’incantation, car de lois en plans ou programmes de santé, d’Etats généraux du cancer en journées du cœur, du Sida ou de l’HTA, l’appel à la « prévention » fait partie du fond commun obligé des discours. Or il est bien établi que l’investissement dans la prévention contribue à réduire les inégalités sociales de santé, et, comme le montrent les pays scandinaves, qu’il y a un lien entre actions d’éducation à la santé et de prévention et modération de l’évolution des dépenses de santé.. En France , l’ensemble des actions de prévention organisées, individuelles ou collectives, ne représente que 5,8 milliards d’euros sur les 247 des dépenses courantes de santé (DREES). Ces dépenses de santé représentent 11,6% de notre PIB, soit deux points de plus que les pays scandinaves, pour des résultats qui ne sont cependant pas meilleurs.

Mathieu Monconduit, membre du CA des Semaines sociales de France, pilote de la commission « santé » des SSF.

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