La démangeaison du referendum ou la démolâtrie

Par Jean-Pierre Rosa

L’aventure du Brexit (tout comme celle du référendum sur l’aéroport de Notre-Dame des Landes) sont l’occasion de réfléchir d’urgence sur la tendance actuelle à prendre non seulement à témoin l’opinion publique sur certains dossiers chauds mais à lui faire porter le poids de la décision – et sa responsabilité.

L’idée d’une consultation directe s’est fait jour très tôt en régime démocratique. Et elle a très souvent consisté à détourner les institutions pour faire avaliser une personne (Napoléon III, De Gaulle..) et/ou un choix (la participation, le Brexit, Notre-Dame des Landes).

L’exercice a connu son sommet en France avec le référendum du Général De Gaulle sur la participation en 1969. Non content de tenter de faire passer une – bonne – idée, De Gaulle a voulu se relégitimer après mai 68 en tant que président de la République. Les Français, en votant non au référendum ont exprimé plusieurs choix à la fois. Primo : non au Général comme Président, Secundo non à la participation, tertio non à un referendum/plébiscite. On ne sait pas du tout ce qui se serait passé si les 3 questions avaient été dissociées.

Avec le Brexit, nous assistons à un phénomène du même type : les Anglais ont-ils sanctionné une équipe, celle de Davis Cameron ? Ont-ils dit non à une certaine Europe ? Ou bien séduit par les sirènes des Tabloids anglais, pro-Brexit à 80 %, ont-ils vraiment voulu une sortie de l’Euro ? Ce qui est sûr c’est que la question était gênante pour les députés anglais, proeuropéens dans leur grande majorité. Vouloir faire porter le poids de la décision au peuple était tentant.

Car le referendum – assez logiquement lorsqu’on y réfléchit sommairement – jouit d’un prestige grandissant. Quoi de mieux en effet que la Vox populi ? Quoi de plus démocratique ? La multiplication des sondages et, plus récemment, des pétitions en ligne, donne des ailes à cette expression populaire. On nous cite la Suisse et ses votations en exemple. En oubliant que nous n’avons ni le même territoire, ni la même organisation, ni la même culture. Que le vent tourne en ce sens. Soit.

Mais les institutions alors, à quoi servent-elles ? Le débat public, qui l’instaure, qui le modère, qui le régule ? L’information, qui la tempère et l’observe pour qu’elle soit équilibrée et équitable ? Les camps du oui et du non, quelle que soit la question posée, qui les finance et qui les régule ?

Dans une période de pression en faveur du referendum il est temps de se poser ces questions afin d’encadrer très sérieusement cette pratique qui risque sinon de tourner à une forme de « démolâtrie » sans foi ni lois.

On devrait ainsi non seulement préciser les cas où un referendum est possible (recueil de x milliers de signatures qualifiées, portage par un parti ou une institution, question non déjà posée avant un délais de x années), mais aussi encadrer sa pratique. Il suffirait, pour faire bref, d’appliquer les dispositions (notamment financières et de temps de parole) qui encadrent les présidentielles en ajoutant tout au long de la campagne un grand débat citoyen porté par un organe indépendant. L’agenda étant un facteur important, il faudrait exclure de cette consultation les périodes de campagne. Enfin il serait capital de relégitimer à cette occasion les institutions en appelant députés et sénateurs à se situer comme personnes et comme corps parlementaire. Dernière précaution enfin : afin d’éviter le risque que le vote se transforme en un plébiscite qui ne dit pas son nom, aucune démission ne devrait être acceptée à l’issue d’une telle consultation.

Jean-Pierre Rosa, membre des SSF

5 Commentaires

  1. Vinckier Denis

    in http://ferretti.imingo.net/le_referendum.htm#_ednref81

    Francis HAMON https://fr.wikipedia.org/wiki/Francis_Hamon
    a envisagé deux types de référendum qui pourraient se développer à l’avenir.

    Le premier est fondé sur une stratégie de concertation et l’auteur le désigne par les termes de “référendum d’apaisement”. Cette hypothèse correspond à un projet qui a fait l’objet d’une longue discussion entre des partenaires multiples et aux positions différentes, voire à une négociation entre adversaires et qui au terme de celles-ci, pour sceller l’accord ainsi dégagé est soumis à l’approbation du peuple. Ici, il ne s’agit pas pour le peuple de trancher, de donner raison à un camp contre un autre, mais bien de réconcilier et donc d’apaiser. On peut reconnaître dans ce type de référendum celui de 1988 sur la Nouvelle-Calédonie qui s’en rapproche le plus. Mais à travers cet exemple on en devine les inconvénients. De tels référendums ne sont pas mobilisateurs puisque tout enjeu a disparu. Aussi le risque encouru est-il celui de l’abstention, d’une très forte abstention.

    Le second type de référendum envisagé par l’auteur est fondé sur une stratégie d’ouverture, il s’agit du “référendum de désengagement ”. Dans cette hypothèse, les gouvernants abdiquent toute volonté. Ils renoncent à faire un choix. Ils s’en remettent à la décision du peuple. C’est ce type de référendum qui est pratiqué en Suède par exemple où de cette manière a été décidé le démantèlement des centrales nucléaires. Pour permettre au peuple de choisir, il faudrait évidemment lui soumettre plusieurs options comme c’était le cas en 1945. Or sous la Ve, dans le cadre de l’article 11 une telle solution paraît impossible à mettre en œuvre, puisque l’on doit soumettre un projet de loi à l’approbation du peuple. De plus, une telle solution serait en contradiction totale avec le caractère représentatif de notre système. Le référendum ne serait plus alors un simple tempérament au régime représentatif.

  2. Olivier Boucher

    « …un grand débat citoyen porté par un organe indépendant. ». C’est à mon avis ici que le bat blesse. En France, qui connaît la CNDP, qui s’en sert? Et cet organisme d’ Etat est-il vraiment indépendant? Indépendance signifie-t-il dans ton esprit neutralité?
    On l’a vu au moment du débat sur le Grand Paris, organisé par la CNDP : la parole et les contributions sont confisqués par les une « société civile » ou des « corps intermédiaires » très (trop?) structurés dont l’approche est quelque peu dévoyée par rapport à l’esprit initial et fonctionnent plus comme des lobbys.
    Se pose en plus la question de l’éducation du citoyen. Education générale à la culture du débat, de la disputatio; mais éducation également à des sujets particuliers qui tendent vers une complexité accrue parfois difficilement intelligible pour le vulgus pecus.
    Je suis très pessimiste sur l’état de notre démocratie européenne…

  3. Jean-Pierre

    Je suis d’accord sur la sous-utilisation du débat citoyen. Mais bien souvent ce ne sont pas les organismes mis en place qui sont en cause, mais la volonté de ne pas – trop – les activer.
    A Paris, les budgets participatifs ne fonctionnent pas parce qu’il y a une volonté claire de ne pas les faire fonctionner. Il faut se donner un mal fou et passer des heures sur le site de la Mairie ou encore être payé pour ça par un des organismes de la société civile pour y comprendre quelque chose. Et les sommes engagées sont pourtant très importantes.
    On peut imaginer qu’au-dessous d’un certain seuil de participation au débat en amont le referendum soit reporté voire annulé. On pourrait obtenir une certaine viralité des débats par des mesures de ce type.
    Quant à la complexité des questions, elle relève tout d’abord de la pédagogie et ensuite de choix politiques assumés. A Paris encore il n’est pas très difficile de choisir entre l’accueil des sdf ou l’implantation de murs végétalisés !

  4. Jean-Pierre

    Pour Denis Vinckier : il est clair que l’idée que je propose demande d’amender la constitution ! Elle l’a déjà été plusieurs fois depuis son adoption en 1958. Et à l’initiative de Francis Hamon justement. Mais à mon sens, on est resté trop cantonné à l’institutionnel sans prévoir l’encadrement de la campagne elle-même. Et de ses suites.

  5. Jean-Pierre

    Commentaire de Benoit L. recueilli sur Facebook et que je me permet de citer dans son intégralité :
    « La Belgique, qui certes n’est pas toujours un modèle, mais constitue un Etat particulier au coeur de l’Europe en fédérant des cultures et des langues diverses, interdit le referendum depuis ce que l’on a appelé « la question royale » : en 1950, les Belges furent appelés à se prononcer pour le retour ou non du Roi Léopold III, alors en exil et contesté pour son comportement pendant la guerre. Une majorité nationale vota « oui » au retour, mais le « oui » l’emportait massivement en Flandre, et le « non » en Wallonie. Le Roi revint – ce qui engendra des manifestations douloureuses (un tué). Avec sagesse, Léopold III renonça au trône en faveur de son fils aîné Baudouin, tout juste âgé de 20 ans… qui devint Roi malgré lui. Les Parlementaires décidèrent alors qu’on ne ferait plus jamais appel à la consultation directe… »

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