Jean Boissonnat, un prophète pour notre temps

Jean Boissonnat s’est éteint. Est-il possible d’imaginer que cette voix si proche, si claire et apaisante pour des milliers d’auditeurs des Semaines sociales de France cesse de retentir à nos cœurs ? Président des Semaines sociales de France à la suite de Jean Gélamur en 1995, il fut après lui un artisan décisif de leur renouveau. La méthode des Semaines sociales porte encore aujourd’hui sa marque : une session intense de rythme annuel, un rassemblement visible de chrétiens sociaux, un dialogue approfondi avec des interlocuteurs de toutes convictions, animés du souci de comprendre ce qui inquiète, travaille, passionne et en définitive peut orienter vers la paix et la justice notre société.

Son métier de journaliste qu’il maîtrisait à la perfection l’avait mis sur le chemin des Semaines sociales. Mais c’est sa foi profonde et libre qui le conduisit à donner sans compter son temps et sa créativité personnelle pour enraciner les Semaines sociales dans la chair vive de leur époque. C’est peut-être la session du millénaire « D’un siècle à l’autre : les chrétiens, l’évangile et les enjeux de société » qui exprima le plus fortement et sa quête personnelle de militant engagé avec son épouse dès les débuts de la Vie nouvelle », et sa confiance dans l’aptitude du christianisme à accompagner le monde vers la grande convergence theilhardienne de l’en- haut et de l’en- avant. Nous ne pouvons cependant oublier l’impulsion décisive qu’il donna à deux des thèmes qui constituent encore aujourd’hui un socle de l’identité des Semaines sociales : le thème du travail pour lequel il offrit la vision révolutionnaire du « contrat d’activité »[1] ; celui de l’Europe dont il partageait avec Michel Camdessus, son successeur, une perspective novatrice, celle d’ « une société à inventer »[2].

Jean Boissonnat était habité par le souci d’une transmission aux générations montantes. Il pressentait que la culture des acquis passés fussent-ils majeurs comme l’héritage européen serait moins décisive pour ces générations que la nécessité de se rendre présents aux changements : la mondialisation, les nouvelles technologies et surtout la redécouverte du « sujet » personnel. Ainsi s’adressait-il au tournant du siècle en tant que Président des Semaines sociales non à tous les jeunes, mais à « un jeune chrétien du XXI eme siècle ». Les derniers mots de cette lettre[3] écrits dans le style accessible et direct qui était le sien disent l’essentiel de ce qui anime encore les Semaines sociales de France:

« Si tu te réclames de l’Église, sache qu’elle aura plus particulièrement besoin de toi. Que ce nouveau siècle ne passe pas sans qu’elle se réunifie autour de son fondateur. Qu’elle guide le peuple chrétien, attentive à ses attentes et à ses peines, lucide et compatissante pour ses fautes, joyeuse de ses élans, confiante en ses initiatives.

En fin de compte, c’est de la richesse de la vie spirituelle, de la tienne aussi, que dépendra la fécondité – souvent cachée – de toute ta vie. Un poète a dit: « Dieu a créé le monde, comme la mer a créé la terre, en se retirant » (Hölderlin). A toi d’agir. Mets le cap de ta liberté sur la vérité. Tu ne la connaîtras jamais parfaitement. Tu n’iras pas seul. Tu trébucheras. Mais, à terme, c’est la vérité qui épanouira ta liberté dans la charité.

Le chrétien n’est pas seulement un homme qui croit en Dieu. C’est aussi quelqu’un qui sait que Dieu croit en l’homme ».

La voix de Jean Boissonnat s’est éteinte. Mais la flamme prophétique de ses convictions ne mourra pas. Oui, Jean était un prophète au sens où ce charisme désigne dans la tradition de l’Église un homme qui, faisant fi des critiques ou des convenances, annonce aux plus grands comme aux humbles la richesse en germe dans les temps nouveaux qui se lèvent et donne aussi le courage de s’y affronter.

Jérôme Vignon, Président d’honneur des Semaines Sociales de France

 

[1] « Travailler et vivre», 85 eme session des SSFR, 2000.

[2] « L’Europe, une société à inventer », centenaire des Semaines sociales de France, Lille 2004.

[3] http://www.ssf-fr.org/56_p_17687/lettre-a-un-jeune-chretien-du-xxie-siecle.html

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