Par Philippe Segrétain
Ecologie, Economie : Décrire la maison commune pour l’administrer mieux (13). François dépasse, et dénonce, cette histoire des mots qui enferme l’Ecologie dans un choix militant, et baptise économie une science qui aurait ses règles et produirait ses normes. Gérer le bien commun c’est le connaitre, en mesurer les évolutions, mais c’est aussi partager un récit qui dit l’histoire de la création et en rappelle la destination (93).
Ce choix libérateur interdit toute lecture où le respect de la nature devrait être tempéré par la prise en compte de contraintes sociales ; une savoureuse attaque du « juste milieu » (194) dit la radicalité du propos pourtant ancré dans notre quotidien, comme le montre cette critique incise sur l’usage des climatiseurs (55) : c’est bien de notre maison dont il s’agit.
François nous propose de s’asseoir autour de lui pour débattre, mais cette éthique du nécessaire dialogue (14) suppose un accord préalable sur la gravité du constat : le consensus est probable sur le danger de l’anthropocentrisme (115-136), les conséquences de l’individualisme sur l’oubli du plus faible (49), ou les nécessaires limites du droit de propriété (93). Moins immédiate sera l’acceptation d’une passionnante intuition qui court dans le texte : la prise en compte du temps long (114), celui de la biosphère (18), mais aussi le temps de la mise en relation, de l’écoute (225) ; et surgit une proposition de changement de nos conduites là où nous ne l’attendions pas, prendre du temps, pour pouvoir le rendre.
L’anathème lancé sur la privatisation des communs, ainsi de l’eau (30), peut surprendre un lecteur français qui sait qu’un pouvoir politique fort peut contrôler un service public dont il délègue l’exploitation ; mais que pèsent les métropoles du sud face aux multinationales du nord. Sa vision urbaine peut aussi étonner (44), nous qui savons que la densité en ville peut être la meilleure protection contre le gâchis de l’espace naturel, mais que vaut notre regard d’européen quand François fait référence aux conditions de logements (152) et de vie de la majorité des populations urbaines dans le monde.
La reconnaissance du caractère scandaleux du discours sur la liberté économique quand il atteint les plus faibles et fonde les exclusions est, elle, assez classique. Au passage un sort est fait à toute tentation de considérer qu’il suffirait que le marché s’empare des critères écologiques pour qu’une régulation spontanée s’instaure (109). Le marché des crédits carbone a montré ses limites : un expédient, pire une nouvelle forme de spéculation (171). Mais l’appel à la société civile pour « faire pression »(38) sur les riches et les puissants a tout de même quelque chose d’assez neuf.
Ne sommes-nous pas au temps de Rerum novarum lorsque Léon XIII défendait le droit des ouvriers à se syndiquer pour faire pression sur ceux qui les exploitaient ? Les Américains libéraux ne s’y sont pas trompés. Dès avant la parution de l’encyclique, ils sont partis en campagne contre ses axes les plus tranchants.
N’oublions pas que Rerum Novarum n’a pas été reçue avec facilité. Cette encyclique qui raisonnait comme un coup de tonnerre dans un ciel serein, selon la formule de Bernanos, s’est imposée lentement, grâce au poids de l’Eglise, à la force des syndicats, et… à la peur du bolchévisme ! Il faut donc s’attendre à des résistances et des combats. Ne restons pas spectateurs. Notre maison brûle !
Philippe Segrétain, membre du CA des SSF
Merci Philippe pour cet article passionnant sur la dernière encyclique de François.
Message au webmestre : Il serai bien de rajouter un deuxieme « m » à « envoyer le comentaire ». Merci d’avance de cette correction.
Et à moi de mettre un « t » à « serai ».
😉