Par Jean-Pierre Rosa
La commission parlementaire chargée de rendre, pour le début décembre, des recommandations pour une loi à discuter et voter en mars prochain prolongera très vraisemblablement ce que l’on trouve déjà dans les très nombreux documents qui ont été produits sur la fin de vie en écho à la promesse de François Hollande lors de son élection.
Tous ces rapports, avis, débats et commentaires font état d’une plainte très vive des patients et de leurs proches vis à vis de la médecine. A ces critiques et à ces plaintes mises en toile de fond des rapports et des avis, les diverses institutions mobilisées ont fini par répondre par deux grandes « mesures » : le caractère opposable que devraient prendre les directives anticipées et la recommandation de la « sédation terminale ».
Les directives anticipées, dans la loi de 2005, constituaient une ligne directrice de principe à interpréter, pas un mandat à exécuter. Pour ce qui est de la « sédation terminale », le législateur avait pris soin de distinguer sédation létale et sédation curative de la douleur, avec le double effet possible de cette dernière. Or il semble que la confusion se soit réinstallée : cette sédation « terminale » n’est jamais appelée létale et elle n’est pas non plus mise en relation avec la sédation curative. Qu’est-ce que cette fin qui ne dit pas son nom ?
Au fond tout se passe comme si les experts du Comité consultatif nationale d’éthique – prenant acte de cette plainte et de la volonté d’autonomie qui s’exprime dans l’opinion – exonéraient à l’avance le corps médical de sa responsabilité, au mépris d’ailleurs de son objection de conscience : ce que vous voudrez, ils le feront. Vous avez des directives ? Vous souhaitez une mort douce ? Ils respecteront tout cela à la lettre. Si vous et vos proches avez des regrets, vous n’aurez à vous en prendre qu’à vous-mêmes, pas au corps médical ni aux institutions !
Cette manière d’esquiver les questions n’est pas à la hauteur des enjeux. La médecine – toute la médecine, pas seulement en fin de vie – doit se mettre en cause dans sa technicité, son absence de « care ». Et pour cela la médecine palliative, qui est comme la pointe avancée du « care » en médecine, doit faire l’objet, non de vaines incantations, mais de mesures précises. Tout d’abord, pour qu’elle ait voix au chapitre, il faut qu’elle devienne une spécialité d’enseignement à part entière, avec le poids qui y est attaché et pas une vague discipline sans autorité universitaire et professionnelle reconnue. Enfin et surtout il faut, comme les SSF le proposaient et comme le professeur Sicard le préconisait, que soit abolie pour l’ensemble de la politique de santé la tarification à l’acte car, en plus de ses défauts intrinsèques, elle affaiblit à l’extrême le financement des soins palliatifs. En effet, face par exemple à tant d’actes de radiologie multipliables et comptabilisables, l’accompagnement d’une personne en fin de vie est-il, humainement mais surtout économiquement, un « acte » ? Perdurer dans ce système c’est, à coup sûr, s’interdire à l’avance l’extension d’une forme de soin dont tout le monde s’accorde à pointer l’excellence et l’opportunité. Il faut d’ailleurs noter que, dès 2009, le CCNE dénonçait ce système et épinglait au passage l’ « effet d’aubaine » induit par des financements normalement dédiés aux soins palliatifs et utilisés à d’autres fins. Bref sur cette question des moyens, il règne une gigantesque hypocrisie : le CCNE qui s’émeut en 2013 du manque de moyens des soins palliatifs a-t-il oublié son avis de 2009 ? Les parlementaires qui s’apprêtent à rendre leurs conclusions sont-ils prêts à remettre en cause la tarification à l’activité et à mettre en place un vrai dispositif d’évaluation – notamment financier – qui rassemblerait les parties prenantes ?
Il nous semble qu’avant de légiférer, il est urgent d’appliquer réellement la loi de 2005 en lui donnant les moyens financiers et les mécanismes institutionnels propices à son fonctionnement. Ensuite alors, face à une médecine rééquilibrée et à une opinion du coup apaisée, nous pourrions reprendre la discussion. Mais aujourd’hui les éléments pour légiférer sont trop troubles, les postures d’évitement trop manifestes, les préconisations trop lourdes d’intentions qui ne disent pas leur nom.
Jean-Pierre Rosa, équipe du blog, commission santé des SSF.
Crédit photo : L’Obs.