Faut- il défendre le mariage ?

par Annabel Desgrées du Loû

Le débat n’est pas nouveau. A la fin du XIXeme siècle il était déjà vif et Emile Durkheim, père de la sociologie française, s’opposait alors au projet de loi de divorce par consentement mutuel en s’appuyant sur ses travaux sur le suicide. Il avait observé une augmentation du taux de suicide là où le taux de divorce était le plus répandu et défendait le mariage comme une institution sociale clé pour fonder et protéger le lien social. Il fut très critiqué par ses pairs pour cette prise de position.

Plus tard, on décrit l’évolution des divorces, la « divortialité », on s’intéresse peu à expliquer pourquoi les alliances se rompent. La banalisation du divorce est vite considérée comme acquise. La plupart des études portent sur les conséquences du divorce, délaissant l’analyse des causes. Pour François de Singly (1999) « il est d’ailleurs tout à fait significatif que peu de travaux – sinon aucun – n’aient porté sur la période précédant la demande de divorce. En France, aucun appel d’offres du ministère ou d’une institution n’a demandé de comprendre les raisons d’un tel succès [du divorce], la production d’une telle évidence du divorce ». L’avant divorce est considéré comme du domaine du privé, du psychologique, et reste à l’écart des analyses. Irène Théry et François de Singly vont d’ailleurs plus loin, y voyant un obstacle idéologique : « tout se passe en effet comme si les sociologues (français) […] considéraient que le fait d’étudier l’avant-divorce pourrait être interprété comme une résistance au divorce, comme une manière de prévenir cet acte, comme un signe de familialisme, de défense de la famille classique » (de Singly, 1999).

Les réactions suscitées par la mobilisation d’élus parisiens et celle des associations familiales catholiques contre la promotion de l’infidélité par le site de rencontre extraconjugale Gleeden dans le métro et sur les bus empruntent exactement aux mêmes registres : elles dénoncent l’intrusion dans le domaine privé, elles raillent le souci (forcément rétrograde) de défense de l’institution matrimoniale.

Tentons un exercice pour faire un pas de côté hors de ces rails de la pensée française sur l’institution du mariage. Reprenons la phrase du code civil à l’origine de la réaction des élus et des associations en question :

«Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance». (Article 212 du code civil)

Enlevons la notion de fidélité, bien trop attachée au sexe, ce qui brouille les esprits… Gardons seulement les trois autres mots  de l’article 212: respect, secours, assistance. Imagine-t-on vraiment qu’une campagne publicitaire qui prônerait l’irrespect, l’absence de secours ou d’assistance à son conjoint en danger serait acceptée sous prétexte qu’elle relève uniquement du domaine privé ? S’y opposer serait-il rétrograde et passéiste ?

Pour retrouver l’action menée par les AFC : http://www.afc-france.org/societe/questions-de-societe/couple/2225-gleeden-les-afc-demandent-a-la-justice-de-se-prononcer

 

Sources : Lambert A, « Des causes aux conséquences du divorce : histoire critique d’un champ d’analyse et principales orientations de recherche en France », Population, 2009/1 Vol. 64, p. 155-182 ; Singly de F., 1999, « Le divorce, l’après-divorce et l’avant-divorce », in J. Hauser (dir.), Sociologie judiciaire du divorce, Paris, Economica, 117 p. ; Théry I., 1993, Le démariage. Justice et vie privée, Paris, Odile Jacob, 396 p.

4 Commentaires

  1. Prune

    Nos sociologues d’Etat, payés par le gouvernement -vous le rappelez vous même – ne peuvent pas se plaindre de ne pas avoir d’études sur ce qu’ils ne souhaitent pas étudier.

    Les études sur le pourquoi des ruptures d’alliances, ce qu’on appelle « les bonnes raisons que je peux avoir de rompre » existent du côté des professionnels psy, depuis fort longtemps.

    Vous voulez mettre de côté le sexe à propos de la fidélité. Nous voilà bien 🙂 🙂 🙂
    Le sexe est pourtant assez fidèle au cerveau qui le dirige et aux perceptions : il contribue à orienter les événements.

    L’image s’imprime dans le cerveau, et cela joue aussi sur la sexualité. Les organismes tradi catho, dans leur démarche légale vis à vis de pubs dans le domaine public, rendent service à tous, même s’il n’est pas politiquement ni correct ni admis de le dire. Il y a des démarches « antipubs » beaucoup moins légales et une résistance s’organise dans d’autres communautés, face à ce que certains appellent le « pourrissement » de l’Occident. Pas plus pourri, au demeurant, qu’ailleurs.

    Nos sociologues d’Etat sont gênés aux entournures par leur aveuglement sur des années. Les médias, plus souples et adaptables, commencent à sentir sérieusement que le vent a tourné. Et parlent maintenant du « secret des couples qui durent », car c’est plus économique à divers points de vue.

    Quant à secours et assistance, quand les couples se séparent, c’est du devoir des enfants, selon le code civil. Vous comprenez ainsi la pesanteur sur les générations qui suivent de choix individuels de rupture, parfois très nécessaires et parfois irresponsables.

  2. Marie

    Sérieusement c’est ça votre argument? C’est bien léger…

    Il existe des campagnes pour le respect (celles contre la violence conjugale)
    L’absence de secours au conjoint en danger tombe sous le coup de la loi sur la non-assistance à personne en danger sans avoir besoin de référer au mariage, heureusement d’ailleurs car sinon tous les conjoints non mariés seraient dispensés de secours.
    Quant à l’assistance, il y a belle lurette que plus personne ne s’en préoccupe : les tribunaux ne gèrent plus les relations financières entre conjoints.

    Alors voilà, les différents éléments que le Code Civil rassemble en tant qu’obligations liées au mariage sont traités différemment et cela est admis.

    La fidélité ressort de la sexualité (en tout cas pour Gleeden) et la vie sexuelle des couples n’est plus du ressort de la loi tant qu’il n’y a pas violence (viol conjugal). L’infidélité n’est plus considérée comme faute lors des divorces, comme vous le savez. Donc en effet, les réactions seraient différents selon lequel des 4 mots du Code Civil on « attaque », rien dans la loi n’oblige à les traiter de la même manière.

    Du reste Gleeden propose à des adultes en couple pas forcément mariés d’aller voir ailleurs, et prouvera sans doute assez vite que le mariage n’est pas sa cible, sa cible étant toute personne voulant contacter une autre personne pour une relation extra-conjugale au sens actuel du terme, c’est à dire extra « couple stable et socialement connu », que soit dans le mariage ou pas.

    Les AFC ont fort heureusement développé un argumentaire un peu plus solide…

    • annabel Desgrees du Lou

      Bonjour Marie,
      loin de moi l’idée de développer un argumentaire juridique, et encore moins de concurrencer les AFC sur ce point. Ce billet n’avait pas d’autre ambition que de proposer, dans le concert de railleries qui a accompagné cette démarche des AFC, un point de vue justement décalé par rapport au juridique.

  3. Je suis d’accord qu’un époux doit éprouver le respect, fidélité, secours, et assistance à leur conjoint. J’ai lu récemment un article écrit par un thérapeute et sociologue qui disait que les femmes quittent les maris qu’elles aiment. L’amour n’est pas le seul facteur d’un mariage fort. Je ne dis pas que le divorce est bon ou qu’il ne faut pas défendre le mariage. Au contraire, il faut qu’on soutienne plus les qualités qui rendent plus forte la famille.
    Eli | pascalevarinavocate.com

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