Par Jean-Pierre Rosa
Le livre de Brice-Teinturier sur la PRAF-attitude (Plus rien à faire, plus rien à foutre, la crise de la démocratie) risque bien d’être le plus noir mais aussi le plus abouti des essais sur la crise de la démocratie. Loin de diagnostiquer dans la crise actuelle une simple défiance, même profonde, comme un Pierre Rosanvallon, il lit dans les multiples sondages politiques de ces dernières années, non plus une colère contre une démocratie confisquée par des élites lointaines et profiteuses, mais la montée de quelque chose de bien plus inquiétant : le désintérêt.
Comme il le dit lui-même : la colère ou la déception sont encore une forme de relation, mais l’indifférence, le désengagement, le désintérêt ou le dégoût manifestent une rupture de toute relation. Or, au fil des sondages, la proportion d’indifférents ou de dégoûtés de la politique n’a cessé de monter et se situe désormais autour de 30 %.
Qu’on ne se méprenne pas : les prafistes n’ont rien à voir avec les frontistes qui, eux, croient encore à quelque chose, même si c’est à un collectif vécu de façon égoïste, la nation. Non, les prafistes ne croient plus en rien. Et surtout pas dans la politique.
Certes, les deux derniers quinquennats les ont largement déçus mais le mal est plus profond. Il s’enracine, dit Brice-Teinturier, dans la montée en puissance des réseaux sociaux, la critique des médias, l’individualisation croissante de la société, l’effondrement de la morale publique et la crise de l’exemplarité.
Profitant de façon purement individualiste des derniers feux de la prospérité européenne, les prafistes pourraient avoir comme devise : « après moi, le déluge ! » ou encore « chacun pour soi ».
Face à une telle montée de l’indifférence et de l’individualisme, comment réagir ? Car il est évident qu’il faut réagir. Une telle attitude participe en effet au délitement des solidarités, à la montée des inégalités (puisqu’il faut bien « tirer son épingle du jeu ») et nourrit donc, à terme, une irrésistible ascension de la dictature, dernier remède aux maux d’une société désaffiliée.
Tout reprendre à la base : partir des solidarités de proximité et les nourrir avec d’autant plus de soin qu’elles sont attaquées à la racine, militer pour une purification de la vie publique à tous les niveaux et par tous les moyens, s’opposer au règne de l’argent en se mettant soi-même en jeu. Il est en effet facile et peu convaincant de fustiger les puissances de l’argent si, soi-même, on ne partage pas. Si, soi-même, on ne montre par l’exemple.
Car ce que Brice Teinturier ne dit pas, c’est l’importance centrale de l’argent dans ce désintérêt. Lorsque la quasi totalité des présidentiables sont soupçonnés de conflits d’intérêt, de détournement de biens sociaux ou de corruption, on comprend que l’on ait du mal à manifester un quelconque intérêt pour un monde qui semble tourner entre soi, au mépris du peuple qu’il est censé représenter.
C’est ce qu’a bien compris le pape François qui durcit de plus en plus le ton vis à vis du monde de l’argent. Dans un discours aux acteurs de l’économie de communion, il déclarait, dans un très violente charge contre le système capitaliste et son hypocrisie : « le jour où les entreprises d’armement financeront des hôpitaux pour soigner les enfants mutilés par leurs bombes, le système aura atteint son apogée. » Face à ce monde il ne suffit pas de « guérir les victimes », mais de « construire un système où les victimes seront toujours moins nombreuses ». « Il faut donc chercher à changer les règles du système économique et social mondial ». Face à une économie qui tue, il faut promouvoir « une économie qui fait qui fait vivre parce qu’elle partage, inclut les pauvres et utilise les profits pour créer la communion. » Dans cet univers sceptique et individualiste, il y a là un vrai programme pour le christianisme social. Un défi.
Jean-Pierre Rosa, membre des SSF
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