Europe, dernier acte

Par Jean-Pierre Rosa

Les grandes familles connaissent bien cette loi : la première génération prend des risques, batit, s’enrichit mais en restant toujours modeste, la seconde consolide l’acquis, gère l’héritage, se met à l’aise, arbore sa fortune et la troisième dilapide. Il en va de même pour l’Europe.

La première génération, celle des pionniers, a pris le risque singulier de réunir les ennemis mortels d’hier en faisant le pari que le « doux commerce » rapprocherait les personnes et les peuples et entrelacerait tellement les intérêts que tout pas de côté serait impossible. La seconde génération a créé les institutions nécessaires à la poursuite du projet commun et a étendu l’Union a tous les pays qui sortaient juste de la dictature (la Grèce des colonels) ou du totalitarisme (les pays de l’Est) pour les intégrer dans la grande fraternité des pays démocratiques et riches. Riches parce que démocratiques, démocratiques parce que riches.

La troisième génération est en train de dilapider l’héritage. Les peuples européens – qui éprouvent amèrement la stagnation économique de la région et ploient sous le fardeau du chomage – préfèrent le chacun pour soi ou le sauve qui peut au beau risque de la solidarité. Chacun, tirant les marrons du feu, cherche à prendre à l’Europe tout ce qu’elle peut donner, tout en en refusant ses valeurs fondamentales. A ce jeu, ce sont les plus forts, comme les Anglais, qui s’en sortent le mieux. Et, ironie du sort, les Grecs, qui ont payé le prix fort pour rester dans l’eurozone, sont en train de subir de plein fouet l’égoisme des pays européens en matière d’accueil des réfugiés.

Le grand projet européen est en train de mourir sous nos yeux. Il est vain de vouloir, par une sorte d’acharnement politico-thérapeutique, lui redonner du souffle. Non seulement parce que l’entreprise est vaine, mais aussi parce que les enjeux sont en train de glisser ailleurs. « La scène de ce drame est le monde » titrait Michel Camdessus en évoquant les 13 années passées à la tête du FMI. Désormais en effet, pour bon nombre d’entrepreneurs, de chercheurs, de financiers – mais aussi de militants de la cause environnementale ou de simples étudiants, les enjeux sont définitivement et radicalement mondiaux. Le moment n’est-il pas venu de mobiliser nos ressources et notre génie au niveau mondial pour bâtir et expérimenter ? Et surtout pour éviter que le monde ne soit définitivement coupé en deux, entre riches assiégés d’un côté et pauvres radicalisés de l’autre ?

Jean-Pierre Rosa, de l’équipe du blog

3 Commentaires

  1. Mille fois d’accord… Et c’est mille fois plus compliqué !

  2. Merci, Jean-Pierre pour ce bel article, à la fois triste et plein d’espoir pour l’avenir au niveau mondial. Je suis seulement un peu gêné par ces quelques phrases: « Le grand projet européen est en train de mourir sous nos yeux. Il est vain de vouloir, par une sorte d’acharnement politico-thérapeutique, lui redonner du souffle. Non seulement parce que l’entreprise est vaine, mais aussi parce que les enjeux sont en train de glisser ailleurs. » La fin d’une partie du projet européen ne veut pas dire que l’Europe soit morte. Mon grand-père haïssait les Allemands d’une haine terrible. Pour moi les Allemands sont définitivement et concrètement de véritables frères. Si l’Europe politique ou économique est malade, il reste bien d’autres aspects culturels, spirituels, moraux, psychologiques pour lesquels continuer à se battre. Il serait d’ailleurs inutile de vouloir se battre au niveau mondial si nous n’avons pas un minimum de vraie entente et solidarité avec nos voisins les plus proches. Et le chaos à prévoir en Europe dans les prochaines années sera aussi une belle leçon dont on pourra toujours profiter. La solidarité a encore de belles portes ouvertes ou à ouvrir devant elle!

  3. MADORE

    En accord total avec cette perspective. Elle commence par une solidarité au quotidien, cœur des nouveaux territoires. Par une dynamique associative actualisée, partenariale de l’ action publique sur le modèle ESS. Une démocratie participative instituée est possible à partir des conseils de développement, avec une autre répartition des ressources du CESE et des CESER. Une autre répartition des responsabilités politiques et une diminution sensible des différentes assemblées.
    La tentative en cours de la rénovation du système éducatif est une belle occasion pour réussir cette gouvernance partagée d’un bien commun actualisé.

Laisser un commentaire à Bruno Voisin Annuler le commentaire